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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

dessus un cache-poussière, elle traversa Truckee et suivit les bords de la rivière du même nom, un torrent bondissant et tapageur qui court entre deux murailles de gigantesques sierras dont les sommets ressemblent à des forteresses. À travers les ombres bleuâtres des bois de pins, elle avançait vaillamment, ravie du paysage merveilleux qui se déployait devant elle.

« Des geais aux crêtes bleues voltigeaient dans les branches sombres ; des centaines d’écureuils exécutaient des galopades à travers la forêt ; des mouches-dragons passaient comme des éclairs vivants ; de ravissants petits singes couraient à travers le sentier. Tout à coup la rivière s’apaisa et s’élargit, reflétant dans ses profondeurs transparentes des pins royaux qui montaient d’un jet, et dont les troncs majestueux étaient revêtus de lichens jaunes et verts ; des sapins et des arbres à encens remplissaient les intervalles. Soudain la gorge s’ouvrit, et le lac m’apparut, environné de montagnes, les bords découpés en baies et en promontoires pittoresquement semés d’érables énormes. »

Du lac Tabor, miss Bird revint à Truckee, et une nouvelle excursion la conduisit au grand lac salé et à la ville mormonne d’Ogden, puis à Cheyenne, dans l’État de Wyoming. Ayant ainsi franchi la chaîne et redescendant vers les plaines, elle entra dans la région des « prairies sans bornes, océan de verdure, le plus souvent uni, mais ondulant parfois en larges vagues, comme une mer dont les flots s’apaisent et s’endorment. »

Leur monotonie est coupée çà et là par les villages des soi-disant « chiens des prairies » ou wishton-wish, une espèce de marmotte qui doit à son aboiement bref et aigu ce nom mal approprié ; les villages, car on peut bien les qualifier ainsi, se composent d’une réunion d’orifices circulaires s’élevant au-dessus du niveau du sol et ayant environ dix-huit pouces de diamètre ; des corridors inclinés en partent pour s’enfoncer à une profondeur de cinq à six pieds. « Des centaines de tanières semblables sont rassemblées dans un même lieu ; à l’entrée de chacune, un petit animal à la fourrure d’un brun rougeâtre se tenait assis sur ses pattes de derrière ; c’étaient les sentinelles qui se chauffaient au soleil ; la forme de leur tête rappelait, sauf les dimensions, celle d’un jeune phoque. Quand elles nous virent, elles poussèrent un cri d’avertissement, secouèrent leur queue et plongèrent dans leurs trous. Il est vraiment grotesque de voir réunies par centaines ces petites bêtes, ayant dix-huit pouces de long,