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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

dans l’eau comme de vivants arcs-en-ciel, des coquilles merveilleuses, se mouvant lentement, entraînées par leurs habitants, le féerique feuillage d’algues fantastiques que les ondulations de la vague agitaient mollement : voilà ce que le regard ravi apercevait dans les profondeurs des eaux, tandis que la surface étincelait des nuances les plus exquises, depuis le vert suave de l’algue marine jusqu’au ton vif de l’émeraude, depuis le bleu pur des turquoises jusqu’au bleu sombre, profond du saphir, tandis que çà et là la nappe transparente était marbrée de taches rouges, brunes ou vertes, par le corail émergeant de la masse inférieure. L’opulente végétation des tropiques couvrait la côte, descendant jusqu’aux sables de la grève ; les cocotiers et les palmiers y dressaient leurs troncs élancés, sous lesquels s’agitaient les insulaires ; les femmes en vêtements rouges, bleus et verts, les hommes en costumes variés, tous chargés de poissons, de volailles et de bouquets de noix de coco. »

Le 2 décembre, le Sunbeam atteignait Taïti, la délicieuse reine du Pacifique. Ici lady Brassey se trouvait en pleine féerie, et l’éclat des couleurs, la variété des scènes l’éblouissaient, en décourageant toute description. « Les magnolias et les hibiscus jaunes et écarlates penchés sur l’eau, le gazon velouté sur lequel le pied se pose au sortir du bateau, la route blanche courant entre deux rangées de maisons de bois dont les petits jardins sont des masses de fleurs, les hommes et les femmes vêtus des couleurs les plus gaies et parés de fleurs, les piles de fruits inconnus amoncelés sur l’herbe, attendant qu’on les transporte sur les petits navires mouillés dans le port, le majestueux fond des collines couvertes de verdure jusqu’au sommet, tout cela n’est qu’une faible partie des beautés qui accueillent le nouveau venu dès qu’il débarque sur le rivage. »

Cette première impression fut encore accrue par tout ce que lady Brassey vit dans la suite. La mer et la côte, les forêts de l’île, tout était nouveau, frappant, merveilleux ; le ciel avait un éclat extraordinaire, la vague, des reflets qu’elle n’avait vus nulle part ; car c’est d’une main prodigue que la nature a versé ses trésors sur Taïti.

Elle fit une course à cheval ; le sentier la conduisit à travers d’épaisses plantations d’orangers, de goyaviers, de palmiers et d’autres arbres des tropiques, dont quelques-uns étaient chargés et presque étouffés par le poids des lianes luxuriante ; parmi ces dernières, on remarquait une splendide fleur de la passion, avec son fruit couleur orange, aussi gros qu’une citrouille, étendant partout