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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

possédaient la forme la plus élémentaire de culte ou de croyance. Leur nourriture se compose principalement de la chair de leurs juments dont ils emmènent des troupeaux avec eux dans toutes leurs expéditions ; ils mangent aussi de la chair d’autruche, mais c’est un régal exceptionnel, des œufs d’oiseaux et des poissons pris par les femmes.

Si bas soient-ils dans l’échelle de l’humanité, si on part de notre civilisation occidentale, les Fuégiens (ou Indiens-canots, comme on les appelle aussi, parce qu’ils vivent sans cesse sur l’eau et n’ont pas de demeures fixes à terre) leur sont de beaucoup inférieurs. Ils sont cannibales, et un vieil auteur prétend qu’ils sont « des pies pour le bavardage, des babouins pour la laideur, des démons pour la méchanceté ». Chaque fois qu’ils apprennent qu’un navire est en détresse ou qu’un équipage naufragé a été jeté sur leurs côtes, des feux s’allument sur toutes les hauteurs pour annoncer la bonne nouvelle à la population de l’île, qui se rassemble aussitôt. Mais si tout se passe sans accident, un vaisseau peut franchir le détroit de Magellan sans apercevoir rien qui trahisse la présence de la vie humaine. Les habitants de la partie orientale de la Terre-de-Feu sont vêtus, ou plutôt ils couvrent leur nudité d’un manteau de peau de daim descendant jusqu’à la taille ; ceux de la partie occidentale ont des manteaux de peau de loutre de mer. Mais le plus grand nombre vont absolument nus. Leur nourriture est des plus misérables ; elle consiste presque uniquement en coquillages, oursins de mer et poissons qu’ils prennent avec l’aide de leurs chiens, dressés à cette effet ; ces chiens sont lancés dans l’eau à l’entrée d’une crique, et par leurs plongeons et leurs aboiements effrayent le poisson, qui se réfugie dans l’endroit où l’eau est peu profonde, et se voit aussitôt capturé.

Lady Brassey eut l’occasion d’étudier les Fuégiens. Un peu après qu’ils eurent dépassé le cap Forward, le point le plus méridional de l’Amérique, un canot apparut tout d’un coup à bâbord, et comme il se dirigeait vers le yacht, sir Thomas donna ordre de ralentir la marche. Les rameurs du canot se mirent à pagayer énergiquement, à faire des gestes et à pousser des cris ; un homme tournait une peau de loutre autour de sa tête avec des mouvements si violents, qu’il faillit faire chavirer l’embarcation, bien fragile, car elle ne se composait que de planches grossières reliées avec des nerfs d’animaux. On leur jeta une corde, et ils grimpèrent à bord en criant :