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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

ration est aussi simple et aussi exacte qu’un « journal de bord ».

Le yacht le Sunbeam (Rayon de soleil), sur lequel la famille Brassey accomplit son voyage autour du monde, était une goélette à hélice à trois mâts, et, appartenant à un riche Anglais, il avait été construit dans toutes ses parties avec un luxe et une perfection qui auraient excité l’envie et l’admiration des anciens circumnavigateurs. Quittant Chatham le 1er juillet 1876, le navire passa en vue de Beachy-Head le lendemain soir, jeta le surlendemain l’ancre devant Cowes, et le 6 franchit les roches des Aiguilles.

« Nous étions quarante-trois à bord, » dit lady (alors mistress) Brassey ; ce chiffre comprenait, avec elle-même, son mari et leurs quatre enfants, quelques amis, un second, un maître d’équipage, un charpentier, des matelots vigoureux, deux mécaniciens et deux chauffeurs, des domestiques, des cuisiniers, des femmes de chambre et une bonne d’enfant.

Le 8, ils avaient bien définitivement dit adieu à la « vieille Angleterre », et le lendemain ils dépassèrent Ouessant. « La mer était terrible ; les vagues se brisaient en colonnes d’écume contre les rochers qui forment la pointe de l’île. » Deux jours plus tard, lady Brassey devait faire connaissance avec les périls de la mer.

« Nous étions tous assis ou debout à l’arrière du bateau, admirant les magnifiques vagues bleu sombre qui nous suivaient, hautes comme des montagnes et couronnées de blanches crêtes. On eût dit que chacune, en approchant, allait nous engloutir ; mais, continuant sa course avec majesté, elles se contentaient de secouer le navire d’arrière en avant et de nous envoyer des paquets d’écume. Tom (M. Brassey) regardait la boussole ; Allnutt (leur fils) se tenait près de lui. M. Bingham et M. Freer fumaient à peu de distance de l’échelle d’arrière, où le capitaine Brown, le docteur Potter, Muriel et moi nous étions debout. Le capitaine Lecky, assis sur des cordages près du gouvernail, racontait une histoire à Mabelle. Un matelot novice gouvernait, et, au moment où une énorme vague nous atteignait, il donna malheureusement un faux coup de barre. En une seconde la vague balaya le pont, engloutissant Allnutt ; l’enfant fut presque entraîné ; mais il parvint, avec une grande présence d’esprit, à s’accrocher au bordage. Kindred, notre maître d’équipage, se précipita pour le sauver ; il fut renversé par le ressac de la vague, et se releva à moitié étouffé. Le paquet de cordages sur lequel le capitaine Lecky et Mabelle étaient assis fut emporté ; mais la Providence