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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

comme les Lapons pour le lièvre. Malgré cela, leurs scrupules s’évanouirent devant les présents de la « princesse blanche ». Ce qui est fort curieux, c’est que chaque tribu a sa couleur favorite ; tandis que l’une ne jure que par les perles bleues, l’autre n’en veut accepter que de vertes ; une tribu qui vendra sa foi pour une poignée de perles bleues ou jaunes restera inébranlable si on lui offre des verroteries d’une autre couleur. La tentation la plus forte à laquelle nulle conscience ne résiste est l’offre d’une pièce de cotonnade bleue ou rouge ; mais, précisément à cause de sa valeur, Mlle Tinné avait soin de réserver ce présent pour les chefs.

Le trajet jusqu’à Bongo fut rendu ennuyeux et pénible par des pluies continuelles. Beaucoup de provisions furent gâtées, et les deux dames, sur leurs mulets, se virent trempées jusqu’aux os sans possibilité de faire sécher leurs vêtements. La contrée qu’on traversait offrait une suite ininterrompue de sites charmants ou curieux ; des bois succédaient aux fourrés, des forêts aux bois ; l’œil ravi suivait avec un attrait toujours nouveau la trame serrée de lianes et de vignes sauvages qui s’accrochait d’arbre en arbre, étoilant de fleurs éclatantes les vertes profondeurs.

En pénétrant plus avant dans le pays, les voyageurs rencontrèrent des paysages tout différents de vastes plaines qui se développaient jusqu’aux lointaines brumes dans lesquelles la terre et le ciel semblaient se confondre à l’horizon. Cette étendue monotone était agréablement coupée de bouquets d’arbres, qui formaient des îlots de verdure où la brise calme et douce arrivait toute chargée du parfum suave et subtil des énormes cactus, des orchis et des iris. Des milliers d’oiseaux, surpris dans les grandes herbes par le passage de la caravane, s’envolaient en remplissant l’air d’un tourbillon d’ailes et de cris.

Depuis quelques années, une diminution marquée s’était produite dans le nombre des éléphants qui fréquentent la vallée du Nil Blanc, et les marchands d’ivoire s’étaient peu à peu avancés jusqu’aux pays arrosés par la Rivière-aux-Gazelles et le Djur. C’était une région vierge, une mine encore inexploitée, et pour mettre à profit toutes ses ressources, une chaîne de stations fut établie, chacune sous la direction d’un vakeel ou employé principal. Tous les ans, au mois de novembre, les commerçants faisaient leur tournée, empilant dans leurs barques l’ivoire accumulé pendant cet intervalle, et ajoutant