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MADEMOISELLE ALEXINA TINNÉ

fique de l’expédition, ils se familiarisaient rapidement et s’aventuraient jusque sur le pont. « Puisque vous ne nous voulez pas de mal, s’écriaient-ils, nous ne vous en ferons pas, nous vous aimerons. » Il leur arriva d’accepter des mains de Mlle Tinné une tasse de thé qu’ils burent poliment sans manifester de répugnance, tout en répondant à ses questions sur leurs mœurs et leurs habitudes et en lui fournissant des indications sur les particularités physiques du pays environnant. Cet accueil la charma tellement, qu’elle aurait voulu prolonger son séjour d’une manière indéfinie au milieu de ces tribus pacifiques, si elle ne s’était sentie obligée de poursuivre son voyage vers le sud.

Elle continua à remonter lentement le fleuve dans la direction du pays des Dérikas. On aperçut deux ou trois villages ; mais cette contrée était nue et stérile, et Mlle Tinné n’éprouva aucun désir de s’y arrêter avant d’avoir atteint le mont Hunaya. Quand les hommes de l’escorte apprirent qu’elle avait résolu de camper en cet endroit pendant la saison des pluies, ils protestèrent avec véhémence et parlèrent des dangers que ferait courir dans ce lieu le voisinage des éléphants et des lions. Alexina ne se laissa pas ébranler, et comme le steamer avait besoin de réparations, elle le renvoya à Khartoum. Sa tante y retourna en même temps pour s’occuper de cette affaire et ramener le navire, dont le retour au Djebel-Hunaya fut accueilli par des cris de joie et, à la stupéfaction des indigènes, par une salve d’artillerie ; deux petits canons faisaient partie des bagages. Rien de très remarquable ne s’était passé pendant ces semaines d’attente, si ce n’est qu’un jour où Alexina était occupée à lire à quelque distance du camp elle avait failli être attaquée par une jeune panthère. Mais en apercevant l’animal elle eut le sang-froid de rester parfaitement immobile et d’appeler à haute voix ses domestiques à son aide ; ceux-ci parvinrent à jeter à la panthère une espèce de lasso et à la prendre vivante.

Le 7 juillet, le steamer, pesamment chargé et remorquant deux barques, se mit de nouveau à remonter le fleuve. Entre le Djebel-Hunaya et le point où le Bahr-el-Ghazal se jette dans le Nil Blanc, le paysage n’a rien d’agréable : les rives sont desséchées et arides ; le vent fait parfois onduler d’énormes massifs de roseaux géants et de plantes aquatiques, tandis que sur d’autres points les eaux, sur une étendue de deux à trois mille mètres, franchissent leurs rivages et détendent des deux côtés, créant ainsi un marécage infranchissable.