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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

des voyageurs une escorte commandée par son aide de camp, M. d’Ozérof, qui devait les conduire à Irkoutsk ; des tarantass ou grandes chaises de poste à six chevaux, et des télégas, traîneaux à quatre roues, étaient mis à leur disposition. Ils ne tardèrent pas à arriver à Kiatka, où les attendait la réception la plus hospitalière ; l’hôtel du gouverneur était rempli de fleurs, passion de tous les Russes ; dîner, concert et bal furent donnés en l’honneur des arrivants. Le grand nombre d’exilés politiques avait introduit dans ces pays lointains l’élégance de la haute société ; presque toutes les dames parlaient français. Mme de Bourboulon déclare que rien ne manquait à cette fête, « pas même la polka et le quadrille officiel : ce n’était pas la peine d’être à quatre mille lieues de Paris. » Toutes les constructions de Kiatka sont badigeonnées de couleurs tendres, roses, jaune ou bleu de ciel, la cathédrale, blanche et lilas, a ses clochetons peints en vert-pomme ; l’intérieur en est d’une richesse extrême : la grille du chœur est décorée de moulures en or et en argent ; l’autel est en argent massif. Après la messe solennelle à laquelle assista le lendemain le ministre de France, l’archimandrite lui adressa un compliment dont le français seul laissait un peu à désirer. Mme de Bourboulon, elle, remerciait de toute son âme la Providence de leur avoir fait accomplir sans danger ce long voyage ; il lui semblait presque terminé, quoiqu’elle fût encore bien loin de la France.

En arrivant sur les bords du lac Baïkal, tous furent très désappointés d’apprendre que les bateaux à vapeur qui font le service du lac, ayant éprouvé de graves avaries, étaient en réparation ; ils se décidèrent, après bien des hésitations, à s’embarquer sur des bateaux à voiles, très malpropres, et destinés seulement au transport des bagages. Il fallut hisser à bord les tarantass, dans lesquelles les voyageurs s’installèrent pour passer la nuit, ces voitures étant organisées de façon qu’on puisse y dormir et voyager ainsi sans s’arrêter. Mais un terrible ouragan s’éleva et faillit arracher les lourdes barques de leurs ancres et les jeter à la côte. Cependant, après ces heures affreuses, la traversée du lac se fit paisiblement, le lendemain soir, par un beau clair de lune qui révélait aux regards l’incomparable panorama de ce lac, le troisième de l’Asie, la mer Sainte, comme l’appellent ses riverains, au sein duquel jaillissent, de profondeurs inconnues, des sources d’eau bouillante, et qu’environnent les pics couverts de neige de ses hautes montagnes. Il joue un rôle important dans les communications entre la Russie et la Chine,