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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

résonna soudain de détonations fusées, pétards, serpents de feu éclataient de tous côtés ; il s’ensuivit une grande confusion, car personne n’était préparé à cette surprise, mystérieusement organisée par les domestiques chinois ; en Chine, rien ne se passe sans un feu d’artifice. Il fallut près d’une heure pour réorganiser la cavalcade. Le cheval de Mme de Bourboulon, effrayé de ce tapage, l’avait emportée à travers la ville, et elle dut attendre sur une vaste place, à une certaine distance. C’était la première fois, dit-elle, qu’elle se trouvait seule au milieu de cette grande cité ; elle avait réussi à arrêter son cheval près d’une pagode, dans un quartier totalement inconnu, et elle fut aussitôt entourée d’une foule immense, dont la curiosité était éveillée par son costume. Quoique cette foule se montrât pacifique et respectueuse, la jeune femme trouva le temps très long, et ce fut avec une vive satisfaction qu’elle se vit rejointe par ses compagnons de voyage, déjà fort inquiets de son absence.

La grande route de Mongolie est bordée de pagodes, de maisons et de petites auberges très nombreuses, peintes en rouge, en vert et en bleu, et surmontées d’affiches engageantes. On y croise une succession continuelle de caravanes de chameaux conduites par des Mongols, des Turcomans ou des Thibétains ; des troupes de mulets aux clochettes sonores apportant des provinces occidentales du sel ou du thé, et d’immenses troupeaux de bétail, de chevaux et de moutons, sous la garde des agiles cavaliers du Tchakor, qui les dirigent à grands coups de leurs longs fouets ou en poussant des cris gutturaux.

Dans l’après-midi on arriva à un village nommé Cha-Ho, situé entre les deux bras d’une rivière du même nom (rivière du Sable). Mme de Bourboulon raconte ainsi la réception hospitalière faite aux voyageurs :

« Nous souffrions tous de la chaleur ; à l’entrée du village, nous avons été frapper à la porte d’une maison assez vaste : c’était une école mutuelle, car on entendait le nasillement des enfants qui répétaient leurs leçons. Le maître d’école, un Chinois bourru, effaré de ma présence, se tenait en travers de sa porte et faisait mine de ne pas vouloir me laisser entrer. Sur les explications en bon chinois de M. Wade, le bourru, se métamorphosant subitement, plia sa maigre échine en deux et m’introduisit avec force salutations dans l’appartement de ses femmes. Là, et avant d’avoir eu le temps de me reconnaître, je fus enlevée à force de bras par ces dames, et transportée