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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

sixième trajet ; c’était rendre un service positif à la science et aux intérêts français que de pénétrer dans ces régions presque inconnues. Ils prévoyaient que l’exécution de ce projet présenterait des difficultés, des fatigues et même des dangers. Ils s’imposaient un voyage de huit mille kilomètres, au milieu de populations presque sauvages, à travers des steppes et des déserts sans routes frayées ; il leur faudrait gravir des montagnes, passer des fleuves à gué, dormir sans autre toit qu’une tente, et vivre pendant plusieurs mois de lait, de beurre et de biscuit de mer. Mme de Baluseck, femme du ministre russe à Pékin, avait cependant accompli déjà avec son mari cette pénible entreprise, et désirait retourner en Russie par la même voie. Mme de Bourboulon se sentit animée d’un égal courage, et capable, malgré sa santé fragile, de supporter ces privations et de braver ces périls.

Le régent promit aux voyageurs une pleine sécurité jusqu’aux frontières de l’empire. Il fit plus, il attacha à leur suite plusieurs mandarins de haut rang, pour assurer l’exécution de ses ordres. Une quinzaine de jours avant le départ, une caravane de chameaux fut dirigée sur Kiatka, frontière de la Sibérie, avec toutes sortes de provisions destinées à remplacer celles qui seraient consommées pendant la traversée de la Mongolie.

Un capitaine du génie, M. Bouvier, surveilla la construction de quelques voitures de transport, légères et solides à la fois, pour pouvoir être traînées par les cavaliers nomades et résister aux accidents d’un voyage dans le désert. Du pain, du riz, du biscuit, du café, du thé, des liqueurs, des vêtements de tout genre, des viandes et des légumes conservés, furent emballés soigneusement dans ces voitures et expédiés trois jours d’avance à Kalgan, ville frontière de la Mongolie. Tous ces préparatifs achevés et toutes les précautions prises, le 17 mai fut désigné comme jour du départ.

Pour ce voyage, Mme de Bourboulon adopta un costume d’homme, c’est-à-dire une veste de drap gris garnie de velours et très longue, de larges pantalons d’étoffe bleue, des bottes à éperons, et, par-dessus le tout, un large manteau mongol avec un capuchon doublé de fourrures. À six heures du matin, tous les voyageurs était rassemblés dans la cour de la légation française. Sir Frédéric Bruce, ministre d’Angleterre, et le secrétaire, M. Wade, accompagnaient M.  et Mme de Bourboulon aussi loin que la grande muraille. Deux mandarins attendaient gravement pour escorter la caravane jusqu’à