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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

périlleux. En 1853, le navire sur lequel elle s’était embarquée avec lui pour une reconnaissance du côté de Nankin, où les insurgés avaient leur repaire, fut salué d’un boulet. En 1858, immédiatement après la prise de Canton, revêtue d’un costume d’homme pour moins éveiller l’attention, elle parcourut à cheval, avec son mari et l’amiral Rigault de Genouilly, la ville récemment conquise, tous trois entourés d’une escorte militaire qui maintenait la foule hostile et soulevée.

Au mois d’août 1860, elle résidait à Shanghaï, témoin forcé de scènes sanglantes. Sous ses fenêtres passaient chaque jour les cadavres des malheureux massacrés par les Taï-Pings, et elle suivait d’un regard plein d’horreur ces tristes épaves que le fleuve entraînait vers la mer. Les forces alliées de l’Angleterre et de la France marchaient sur Pékin, lorsque Shanghaï fut attaqué par les rebelles, qui voulaient s’emparer des richesses des Européens. Dans l’hôtel de la légation, défendu par vingt marins, Mme de Bourboulon montra un sang-froid et un courage admirables. Ses notes, prises à la hâte, retracent les émotions de ces terribles journées. Dès que la paix fut conclue, M. de Bourboulon se décida à partir pour Tien-Tsin, afin d’y surveiller l’exécution du traité et de se rendre de là à Pékin, où les légations de France et d’Angleterre devaient avoir leur résidence. Quoiqu’elle se ressentît déjà de la fatale maladie dont ce climat lui avait fait contracter le germe, Mme de Bourboulon voulut suivre son mari. C’est alors que commence le journal où elle a retracé d’une manière vive et pittoresque ses impressions sur cette Chine alors si peu connue, et cette ville de Pékin, où nulle Européenne n’avait pénétré avant elle. Le récit de leur séjour et de l’immense voyage qu’ils accomplirent pour rentrer en Europe a été écrit en grande partie d’après ces notes, qui y sont souvent citées[1]. De Shanghaï au golfe de Petchili, dans lequel le Peï-Ho déverse ses eaux, la distance est de deux cents lieues. Nos voyageurs, qu’une corvette à vapeur avait transportés à l’embouchure du fleuve, durent pour le remonter s’embarquer à bord d’un aviso de commerce ; en franchissant la barre, ils virent devant eux la ville de Ta-Ku avec ses forts célèbres, et au delà des plaines couvertes de sorgho, de maïs et de millet, s’étendant à perte de vue.

  1. Voyage en Chine et en Mongolie de M.  et Mme de Bourboulon, par A. Poussielgue. — Hachette.