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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

une nouvelle impulsion au talent de Frédérika, tandis que ses critiques sages et judicieuses la corrigeaient des erreurs dans lesquelles la faisait tomber son extrême facilité. Il lui démontra que ce n’était pas tout que de composer sans effort ; qu’il fallait apprendre à donner de la netteté et de la solidité à ses pensées, et que la grâce du style et le charme des descriptions étaient peu de chose si le romancier n’y joignait l’idée créatrice.

La vie prenait à ses yeux un aspect nouveau, et son langage avait bien changé. Dans une lettre à sa mère, en octobre 1831, elle écrit :

« L’existence a acquis une grande valeur à mes yeux. Jadis c’était différent. Loin d’être heureuse, ma jeunesse a été une époque de souffrance, et, à la lettre, mes jours se sont alors passés à désirer mourir. Mais maintenant il en est autrement. Comme compensation à cette longue période de peines et d’inaction forcée, une autre période lui a succédé, m’apportant les moyens de me rendre utile, et par conséquent une joie et une vie nouvelles. Mes sœurs et moi, nous n’espérons, nous ne désirons pas autre chose que de faire un peu de bien pendant notre séjour d’exil sur la terre, et, selon les facultés qui nous ont été accordées, de travailler au bien de nos semblables, et de vivre nous-mêmes dans la paix et l’harmonie. Peut-être notre triste jeunesse, en nous privant de beaucoup des plaisirs de l’existence, a-t-elle contribué à donner à nos esprits une tendance vers des aspirations supérieures et un désir plus énergique d’être vraiment utiles en ce monde. »

Sa carrière littéraire était commencée depuis trois ans. En 1828. elle avait publié à Stockholm un volume de nouvelles, Esquisses de la vie journalière, qui avait obtenu du public un accueil favorable. Mais ce fut son vigoureux tableau de la Famille H*** qui le premier fit apprécier toute l’étendue de son talent de romancier. Sa renommée grandit très rapidement, et fut accrue et confirmée par chacun des ouvrages que sa plume infatigable produisit dans l’espace de quelques années. Les Filles du président, les Visions, Guerre et Paix, le Foyer domestique, etc., renferment les mêmes qualités morales, et se font remarquer par une constante élévation de pensée, un esprit vif et observateur, un style singulièrement énergique et clair. Elle aime à chercher ses sujets dans les scènes de la vie domestique, ses joies et ses douleurs, ses devoirs et ses plaisirs. En 1841, ses œuvres furent traduites en allemand, et obtinrent sous cette nou-