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FRÉDÉRIKA BREMER

entrevoir que la littérature lui offrait cette sphère d’action à laquelle jusque-là elle aspirait en vain.

Par la suite, elle passa quelque temps comme institutrice dans un pensionnat de Stockholm. Sa jeunesse n’avait pas été heureuse ; la paix domestique était souvent troublée par l’humeur austère, pour ne pas dire les monomanies, du chef de la famille. On entrevoit dans les livres de Frédérika quelque chose de ces ennuis quotidiens, et le récit amèrement plaisant qu’elle met dans la bouche d’une aimable vieille fille des Voisins pourrait bien n’être qu’un souvenir. Dans la préface d’un autre de ses romans, les Filles du président, elle a exprimé sous une forme singulière, exaltée, ces luttes et ces amertumes de sa jeunesse. Elle vit d’elle-même qu’alors un nuage sombre voilà l’éclat de ses premières illusions ; alors un crépuscule précoce descendit sur la route que suivait la jeune voyageuse, en train d’accomplir ce terrible pèlerinage de la vie. L’air s’obscurcit comme à la tombée de la neige ; l’obscurité augmenta, et ce fut la nuit. Et dans les profondeurs de cette nuit sans fin, de cette nuit d’hiver, elle entendit des lamentations venant de l’ouest et de l’est, voix de la plante et de l’animal, de la nature mourante et de l’humanité désespérée ; elle crut voir la vie, sa beauté, ses tendresses, ses cœurs palpitants, enterrés vivants sous un froid linceul de glace.

Cependant tout a une fin, même et surtout la jeunesse, et l’apaisement vient avec les années. En 1831, Frédérika fit un séjour de près d’un an chez une de ses sœurs, récemment mariée et établie à Christianstad. Elle était résolue d’avance à n’accepter aucune invitation et à ne pas se mêler à la société, mais à vivre dans la retraite pour se former à ce qu’elle considérait comme une mission et une vocation, sa carrière d’écrivain, afin de pouvoir ensuite consacrer plus efficacement ses talents à consoler et à aider tous les malheureux, tous les cœurs affligés.

« Frédérika, dit sa sœur, qui a écrit sa vie, découvrit qu’il lui fallait beaucoup apprendre, et que la première chose nécessaire était la solide foi religieuse, qui jusque-là lui avait manqué. »

Le guide dont elle sentait instinctivement le besoin, elle le trouva à Christianstad dans le révérend Peter Boklin, directeur de l’École supérieure ; elle profita beaucoup de ses leçons et de son exemple. Son influence sur elle fut aussi bienfaisante que puissante. Très versé dans l’histoire et la philosophie, il donna