Tous ceux qui partaient chantaient gaiement, mais ceux qui restaient
nous regardaient avec tristesse. C’était le 10 juin 1855. On
marchait en désordre, et les gens de Grindelwald s’étaient chargés
de nos effets pour soulager les porteurs. Le soleil était ardent. Les
paysans nous quittèrent lorsque nous entrâmes dans le sentier qui
serpente sur le Mettemberg, le long de la Mer de glace. Le Tyrolien
seul, accompagné de son jeune guide, resta avec nous. Il dit qu’il
Interlaken.
était venu par curiosité pour nous suivre aussi longtemps qu’il
pourrait, afin d’avoir une idée de la manière dont nous allions nous
tirer d’affaire. Il chantait comme toute la caravane, et sa forte voix
dominait les autres.
« C’était la première fois que je voyais l’immense glacier qu’on appelle la Mer de glace. Je regardais, à travers les rideaux verts des pins, ces masses qui sortaient du gouffre, dont le fond est azuré et dont la surface est ici recouverte de boue et de blocs de neige. Ce spectacle me faisait peu d’impression, soit que je fusse absorbée par la pensée de m’élever jusqu’aux sommets des Alpes, soit que mon