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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

diens hospitaliers. De concert avec notre escorte, ils veillaient sur nos chevaux et nos bagages. Je jugeai toutefois qu’il était temps de nous séparer de ces étranges amis. Je distribuai quelques pièces de monnaie à toute la troupe, et nous nous éloignâmes, accompagnés de leurs bénédictions. Le jour tirait à sa fin lorsque nous arrivâmes à la montagne qui a donné son nom de Djaour-Daghda au groupe qu’elle domine. À notre droite s’étendait la mer, dorée près du rivage par les derniers rayons du soleil, voilée dans ses lointains bleuâtres par les ombres du soir ; à notre gauche et devant nous s’élevait la cime verdoyante du Djaour-Daghda, dont les flancs arrondis portaient de nombreux villages. Rarement, en Syrie, les côtes s’élèvent à pic le long de la mer. Ici comme dans le reste du pays, des ondulations gracieuses séparent les montagnes des vagues qui en baignent la base. L’espace qui s’étend de la mer à la montagne ressemble à une fraîche vallée de la Suisse. Le village de Bajaz, résidence du bey, était caché par des massifs d’arbres gigantesques, reliés entre eux par les guirlandes capricieusement entrelacées de la vigne sauvage. Tout autour de nous était calme, riant et serein. »

Mustuk-bey reçut la princesse avec toute l’hospitalité arabe. Après quelques journées ennuyeuses que les pluies la contraignirent à passer dans cet endroit, elle se dirigea vers Alexandrette et Beyrouth, en traversant une des régions les plus pittoresques de la Syrie. Dans sa hâte d’être à Jérusalem avant les fêtes de Pâques, elle ne s’arrêta pas à Antioche, malgré tous les souvenirs historiques et religieux qui se rattachent à cette ville. Une tribu du Liban venait de se soulever, et le pacha d’Alep envoyait des troupes contre les révoltés. On conseilla à la princesse de voyager sous leur protection ; elle refusa, y trouvant plus d’inconvénients que d’avantage. En effet, le bruit de l’approche des soldats rendait le pays désert. En arrivant dans un village où ils comptaient sécher leurs vêtements et trouver quelque nourriture après une pénible journée de pluie, la princesse et son escorte virent avec surprise tous les habitants s’enfuir à leur approche, poussant devant eux leurs troupeaux et emportant tout ce qu’ils pouvaient. Il ne resta qu’une vieille femme, qui apprit aux étrangers qu’on les avait pris pour l’avant-garde des troupes turques, et que chacun s’était hâté de se mettre à l’abri du pillage. Cette journée devait être malheureuse jusqu’au bout : une partie des gens de Mme Belgiojoso l’ayant précédée dans la petite ville où l’on devait coucher, elle s’égara dans la campagne, sans