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PRINCESSE BELGIOJOSO

du Liban étaient infestés, et qui ne manqueraient pas d’attaquer sa petite caravane. Toutefois, devant son insistance, il lui donna une escorte et une lettre de recommandation pour le bey. Le départ excita dans la ville une agitation et une crainte qui gagnèrent la princesse elle-même. Cependant, aux premiers défilés du Djaour, et en approchant du golfe d’Alexandrette, elle vit arriver au-devant d’elle Dédé-bey, frère de Mustuk-bey, prince de la montagne, qui venait au nom de son frère lui offrir sa protection.

L’endroit où se passait cette scène, appelé la porte des Ténèbres, était un arc de triomphe en ruines, entouré d’arbres touffus et au delà duquel on apercevait la mer de Syrie. Les voyageurs atteignirent bientôt ses bords ; leurs chevaux couraient avec plaisir sur la grève unie, et trempaient leurs pieds dans les vagues. Tout à coup on entendit éclater une musique barbare, fifres et chalumeaux mêlés aux grosses caisses et aux tambours. « Les musiciens précédaient une bande de montagnards en campagne, c’est-à-dire occupés à battre les grandes routes. Notre passage avait été annoncé aux guerriers nomades, qui venaient nous souhaiter un heureux voyage, et nous inviter même à prendre des rafraîchissements avec eux. Il y aurait eu mauvaise grâce à refuser. Mettre le pied à terre, confier la garde de nos chevaux à ces hôtes empressés, nous asseoir sur l’herbe, étaler nos provisions à côté de celles des montagnards, ce fut l’affaire d’un instant. Un repas de société fait avec une troupe de batteurs d’estrade, c’est là une de ces bonnes fortunes que les chercheurs d’émotions et d’aventures ne trouvent pas toujours en Orient. Les montagnards, il est vrai, résistèrent à toutes les instances que nous leur fîmes pour les décider à prendre leur part de nos provisions : les devoirs de l’hospitalité ne leur permettaient pas de se rendre à nos prières. S’ils nous avaient offert leur lait, leurs fromages, leurs galettes d’orge et leurs oranges, c’est que nous étions leurs hôtes, et la qualité même qu’ils se reconnaissaient leur défendait de rien accepter de nous. Après le repas vient la sieste ; la journée était chaude, le soleil, au milieu de sa course, nous inondait de ses rayons brûlants ; les montagnards se retirèrent un peu à l’écart pour nous laisser prendre quelque repos. Quant à moi, couchée près de ma fille, j’essayai en vain de résister au sommeil ; mais la fatigue ne tarda pas à me plonger dans une sorte de demi-assoupissement. Lorsque je rouvris les yeux, je vis avec une grande satisfaction que les montagnards avaient été fidèles à leur rôle de gar-