Page:Chevalier - Les voyageuses au XIXe siècle, 1889.pdf/121

Cette page a été validée par deux contributeurs.
111
PRINCESSE BELGIOJOSO

où le papier même est peu commun, on y supplée en supprimant complètement les fenêtres et en se contentant de la lumière qui pénètre par la cheminée, lumière plus que suffisante pour fumer, pour boire et pour donner le fouet aux enfants par trop rebelles, seules occupations auxquelles se livrent pendant le jour les épouses des fidèles musulmans. Qu’on ne croie pas qu’il fasse cependant très noir dans ces chambres sans fenêtres ; les maisons n’ayant jamais qu’un étage, les tuyaux de cheminée ne dépassant pas la hauteur du toit et étant fort larges, il arrive souvent qu’en se baissant un peu devant la cheminée, on voit le ciel par l’ouverture. Ce qui manque complètement dans ces appartements, c’est l’air ; mais ces dames sont loin de s’en plaindre. Naturellement frileuses, et n’ayant pas la ressource de se réchauffer par l’exercice, elles demeurent des heures entières assises devant le feu, et ne comprennent pas qu’on étouffe quelquefois. Rien qu’à me rappeler ces cavernes artificielles encombrées de femmes déguenillées et d’enfants mal élevés, je me sens défaillir, et je bénis du fond du cœur l’excellent muphti de Tcherkess et sa délicatesse extraordinaire, qui m’a épargné un séjour de quarante-huit heures dans un harem, d’autant que le sien n’était pas des mieux tenus. »

La princesse, au bout de ces quarante-huit heures de repos, reprit son voyage. À Angora, par suite d’une erreur de son passeport, elle fut obligée de s’arrêter près de quinze jours ; elle en profita pour visiter le fameux couvent des derviches. Ses hôtes la forcèrent à accepter des gants et des bas faits avec la laine des chèvres de ce pays, et même, par supplément, un gros matou d’Angora. « Ces chèvres, écrit-elle, sont les plus jolies qu’on puisse voir : leur soie, car je ne puis appeler cela de la laine, est le plus souvent blanche, quelquefois roussâtre, grise, ou même noire ; mais, quelle que soit sa couleur, sa finesse, son moelleux et son luisant sont toujours les mêmes. Avec ce poil on fabrique à Angora une espèce d’étoffe fort estimée, et l’on tricote toutes sortes de bas, mitaines, etc. Quant aux chats, ils sont énormes, et leur corps est couvert d’un épais duvet assez semblable à celui du cygne. Leur tête est fort large, leur queue longue et fort garnie ; mais ce qu’il y a de plus charmant, c’est la grâce de leurs mouvements, la légèreté de leurs bonds, la rapidité de leur course, et le courage avec lequel ils soufflettent les plus gros dogues, qui ne leur résistent pas. »

Au sujet des derviches, elle fait les réflexions suivantes : « On se