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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

pour Mme Pfeiffer, qui avait été atteinte des fièvres du pays, auxquelles de telles émotions, en ébranlant son système nerveux, donnaient plus de gravité encore. L’escorte retarda à dessein la marche des prisonniers, et au lieu de huit jours ils en mirent cinquante-trois à gagner la côte. Ces arrêts dans un pays malsain n’eurent pas le résultat désiré sans doute du gouvernement malgache ; les Européens, forcés de séjourner huit à dix jours dans les lieux où la maladie endémique sévissait avec le plus de force, contraints de reprendre leur route quand ils tremblaient de fièvre, faillirent périr avant de gagner le port ; mais ils arrivèrent vivants à Tamatave. Mme Pfeiffer, arrachée plusieurs fois presque mourante de sa misérable couche par de barbares soldats, voulut s’embarquer sans plus attendre pour Maurice. Les souffrances morales et physiques qu’elle avait endurées, les ravages de la fièvre l’avaient réduite à un tel état de faiblesse, que sa guérison parut d’abord impossible. Des soins assidus conjurèrent le danger ; les médecins la déclarèrent sauvée. Mais sa santé avait subi un ébranlement fatal les accès de fièvre, de moins en moins violents, ne la quittèrent jamais tout à fait. Cependant son esprit recouvra toute son élasticité, et, ressaisie de son besoin de mouvement, elle recommença à former de nouveaux projets. Ses préparatifs étaient faits pour aller en Australie, quand une rechute la força à renoncer à ce dessein et à rentrer dans sa patrie.

On serait disposé à s’imaginer que, pour accomplir de pareils miracles d’audace et d’énergie, il fallait une femme douée d’une force exceptionnelle et de l’apparence la plus robuste. C’était tout le contraire : sa taille ne dépassait pas la moyenne, et elle n’avait rien de masculin dans son extérieur. « Je souris, écrivait-elle à un de ses amis, en songeant à tous ceux qui, ne me connaissant que par mes écrits, s’imaginent que je dois ressembler plus à un homme qu’à une femme. Vous qui me connaissez, vous savez que ceux qui s’attendent à me voir avec six pieds de haut, des manières hardies et le pistolet à la ceinture, trouveront en moi une femme aussi paisible et aussi réservée que la plupart de celles qui n’ont jamais mis le pied hors de leur village. »

Ses forces déclinaient rapidement, quoiqu’elle parût n’en pas avoir conscience, ou du moins regarder son état comme temporaire, et qu’elle continuât à manifester son aversion caractéristique pour le repos. Pourtant, vers le mois de septembre, elle témoigna soudain