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MADAME IDA PFEIFFER

les dernières années de sa vie ; mais elle avait une nature qui ne souffrait pas l’inaction. Il y a dans les voyages quelque chose qui stimule la curiosité au lieu de la satisfaire, et ceux qui se sont engagés dans cette voie n’ont plus le pouvoir ni la volonté de s’arrêter ; le besoin de mouvement perpétuel s’empare d’eux comme du Juif errant. Au mois de mai 1856, Ida Pfeiffer reprenait son bâton de voyageuse. Elle se rendit d’abord à Berlin, à Amsterdam, à Paris, qu’elle ne connaissait pas, et à Londres. Partout le monde scientifique l’accueillit de la façon la plus flatteuse. À Paris, le président de la Société de géographie, M. Jomard, l’invita à une séance où elle fut conduite par Malte-Brun. Après avoir brièvement énuméré ses titres à cette distinction, M. Jomard ajouta que la Société était fière de faire en sa faveur une infraction à ses règlements en la nommant membre honoraire, à côté de ses illustres compatriotes Humboldt et Karl Ritter, et, rappelant un mot connu, il termina par cette parole : « Rien ne manque à votre gloire, Madame, mais vous manquiez à la nôtre. »

Elle retourna alors, ce qui était pour elle une promenade, au cap de Bonne-Espérance, et là hésita quelque temps sur la direction qu’elle prendrait. Enfin elle revint au projet, un moment abandonné, de visiter Madagascar, et, en attendant que la saison lui permit de s’y rendre, elle passa dans l’île Maurice. Elle trouva de nombreux sujets d’admiration dans l’aspect de cette belle et riche colonie. Ses montagnes volcaniques présentent les lignes les plus hardies et les plus pittoresques ; sa végétation atteste la prodigalité de la nature ; chaque gorge est tapissée de feuillage ; de rocher en rocher tombent des cascades en miniature. Mme Pfeiffer fit l’ascension du mont Orgueil, qui domine une grande partie de l’île, et visita le Trou-du-Cerf, cratère parfaitement régulier, rempli d’arbustes en fleur, et d’où le voyageur voit s’étendre à ses pieds un magnifique panorama, des montagnes majestueuses revêtues de forêts presque jusqu’au sommet, de vastes plaines que verdissent les plantations de cannes à sucre, et, tout autour de soi, la mer étincelante. C’est du sucre, et rien que du sucre, prétend Mme Pfeiffer, que l’on voit à Maurice ; toute entreprise et toute conversation s’y rapportent. Elle partit donc avec plaisir pour Madagascar. Le port de Tamatave, qui est aujourd’hui un centre de commerce important, était à cette époque un grand village fort pauvre, de quatre à cinq mille habitants. Ayant obtenu de la reine la permission d’entrer dans ses États,