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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

cône et entouré de montagnes. Mme Pfeiffer eut l’occasion d’y étudier les mœurs des Kurdes. Les maisons de Ravandus étaient construites en terrasse, et leurs toits plats servaient de rues aux maisons supérieures. Elle logea chez le principal négociant de la ville, dont le logis était un vrai taudis sombre et malpropre. Les femmes lui parurent paresseuses et ignorantes ; les hommes travaillaient le moins possible et volaient autant qu’ils pouvaient. Malgré leurs défauts grossiers, elle les trouva doux et hospitaliers ; tous s’empressèrent de fournir à l’étrangère ce qu’ils pensaient lui être agréable. Ayant fait honte aux femmes de leurs vêtements déchirés, elle leur montra à les raccommoder, et eut bientôt une école de couture rassemblée autour d’elle. Le costume des femmes se compose de larges pantalons et de bottes rouges ou jaunes ; elles jettent sur elles une longue robe bleue qui tomberait plus bas que la cheville si elle n’était retroussée dans la ceinture, et un large châle également bleu ; elles tournent des châles noirs en turban autour de leurs têtes, ou portent le fez rouge, bordé d’un petit mouchoir de soie et surmonté d’une courte frange noire formant diadème ; les cheveux retombent sur les épaules en nattes fines et nombreuses ; une grosse chaîne d’argent est rattachée au turban. Cette coiffure est très gracieuse, et il faut ajouter qu’elle accompagne souvent de très beaux visages, des traits réguliers et des yeux pleins d’éclat.

Ce fut avec les difficultés et les mésaventures les plus pénibles que Mme Pfeiffer arriva au lac salé d’Ourmiah, qui, sous certains rapports ressemble à la mer Morte. Elle y reçut l’hospitalité chez des missionnaires protestants qui lui fournirent un guide pour achever son voyage, et enfin elle arriva à Tauris, ayant été attaquée encore une fois par des voleurs, qui la laissèrent passer, lui trouvant une mine trop pauvre pour exciter leur cupidité. Les Européens de cette ville ne pouvaient comprendre comment une femme isolée, sans savoir la langue du pays, avait pu traverser de telles contrées. Tauris, résidence d’un vice-roi, est une belle ville, avec de nombreuses manufactures de soie et de cuirs ; ses rues sont propres, mais le passant n’y voit rien de plus que dans toutes les villes d’Orient ; les maisons ne présentent que de grands murs sans ouvertures, car les fenêtres donnent sur une cour intérieure garnie d’arbres et de fleurs, à laquelle s’adjoint un beau jardin.

Mme Pfeiffer partit pour Natschivan dans une voiture de poste ; à Arax, elle franchit la frontière russe, et à Natschivan se joignit à une