Page:Chevalier - Les derniers Iroquois, 1863.djvu/269

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 261 —

Le fleuve resserre sa ceinture. On distingue parfaitement ses rives. Il reprend sa physionomie austère, ses lignes rigides, ses proportions écrasantes.

Plus de paysage animé par une frondaison souriante ; plus de daims broutant sur l’échine des monts, ou perchés à la pointe d’une roche pour nous regarder monter ; mais, à droite, à gauche, un escarpement d’une hauteur démesurée, grisâtre, aride, dépourvu de plantes, même des plus simples graminées !

Ce spectacle est horrible. Il fait mal[1].

On fermerait les yeux, si bientôt un objet unique ne les attirait en les fixant invinciblement sur lui. C’est, à cent cinquante mètres au-dessus de l’eau, un médaillon gigantesque sur lequel le Grand Artiste a ciselé le profil d’une figure grecque. Mais l’extraordinaire, l’inexplicable, ce médaillon paraît avoir été dédoublé, la figure partagée par une section verticale passant entre les deux yeux, et chacune des deux faces est gravée sur chacune des deux rives ; comme si la tête, encastrée dans le rocher, eût été tranchée avec elle lors de la révolution terrestre qui bouleversa cette région.

  1. Une dame anglaise, avec qui j’eus le plaisir de faire une excursion au Saguenay, en 1853, s’écrie, en racontant ses impressions : « À chaque minute de nouvelles sublimités nous saluaient, les rives devenaient plus élevées, plus hardies, au point que l’émotion comprimée inondait l’âme et la rendait malade : les paroles ne pouvaient la soulager, les paroles ne pourraient décrire ce qu’elle éprouvait !! »