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les hommes. Ces mots, des principes généraux du droit, vous révèlent aussitôt combien porte à faux le reproche articulé contre l’économie politique d’être une science sans générosité, sans abandon, sans entrailles. Quand un magistrat est sur son siège et qu’il juge un procès entre mon voisin et moi, je ne puis lui demander d’être généreux, ni d’avoir de l’abandon, ni de se laisser aller à la sensibilité de son cœur. Car s’il est sensible, pourquoi le serait-il en ma faveur plutôt qu’en faveur de ma partie adverse ? Tout ce que je puis réclamer de lui, c’est qu’il soit juste, qu’à l’image de la loi, il reste inflexible sur le terrain de l’équité, sans que jamais ce soit l’impulsion de son cœur qui fesse pencher la balance. De même de l’économie politique, les indications qu’elle donne, les règles qu’elle pose, doivent être modelées sur la justice qui est réciproque, et qui ne sacrifie pas à l’une des parties le droit de l’autre.

Est-ce à dire qu’il faille exclure des rapports des hommes entre eux la bienveillance, la charité, le dévouement, le sacrifice ? Non sans doute. Une société où ces sentiments seraient éteints serait frappée à mort, le mouvement du fluide vital lui-même s’y suspendrait. L’erreur que je combats ici est de croire que ce soit l’économie politique qui puisse servir de mobile à ces généreuses manifestations de l’âme. L’économie politique s’arrête là où cesse la stricte justice, et là commence le domaine d’autres puissances plus tendres, plus spontanées, ou placées plus haut dans l’ordre hiérarchique. L’économie politique s’applique à être juste ; la charité et le dévouement sont par delà la justice. Il appartient à l’économie politique de suggérer à la société une partie des lois dont celle-ci a besoin pour se soutenir et se développer. Mais la charité, le dévouement, les accents du cœur ne peuvent s’écrire dans les lois, car si la loi me signale les actes de charité que j’ai à faire et me fixe les sommes que je donnerai, je cesse d’être charitable,