Page:Chevalier - Accord de l'économie politique et de la morale, 1850.djvu/3

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dustrie, c’est-à-dire l’ensemble des opérations par lesquelles l’homme crée la richesse de toute espèce, l’industrie, dont l’économie politique a pour objet d’analyser l’organisation et de discuter les transactions, n’est point matérielle elle-même ; c’est au contraire l’esprit humain qui lutte pour s’affranchir de la servitude des besoins matériels, l’esprit humain qui se fait de ce bas monde un séjour en rapport avec sa dignité ; l’esprit humain qui, de la matière, tire pour lui-même un piédestal, un trône.

Une des grandes intelligences de notre temps, un philosophe l’a dit profondément dans un morceau sur Adam Smith[1] :

« Qu’est-ce que le travail, sinon le développement de la puissance productive de l’homme, l’exercice de la force qui le constitue ? Le capital primitif, qu’on a tant cherché, est cette force dont l’homme est doué et à l’aide de laquelle il peut mettre en valeur toutes les choses que lui présente la nature, dès qu’elles sont en rapport avec ses besoins. Les valeurs premières sont les premiers produits de l’énergie humaine, dont elle tire sans cesse de nouveaux produits, qui vont se multipliant, et représentent les emplois divers et successifs du fonds primitif à savoir, de la puissance productive de l’homme.

« Or, cette puissance productive, cette force qui constitue l’homme, c’est l’esprit. L’esprit, voilà le principe du principe de Smith ; voilà la puissance dont le travail relève ; voilà le capital qui contient et produit tous les autres, voilà le fonds permanent, la source primitive inépuisable de toute valeur, de toute richesse.

« Toutes les forces de la nature, comme toutes les forces physiques de l’homme, ne sont que des instruments de cette force éminente qui domine et emploie toutes les autres. »

J’avais à cœur de faire ressortir avant tout ce caractère spiritualiste de l’économie politique ; il me semble que c’est déjà l’ennoblir et en prouver la moralité. Maintenant, j’entre plus avant dans la question.

Depuis un siècle environ, les hommes ont posé, avec une hardiesse extrême, la question de savoir quelles sont véritablement les bases de société, quelles lois peuvent fixer convenablement les rapports de l’individu avec ses semblables. La liberté d’examen, après avoir été appliquée, dès le seizième siècle, aux choses divines, c’est-à-dire à tout ce qu’il y a de plus sacré, descendit aux choses humaines, ce qui n’a rien qui doive surprendre : quand on a escaladé le ciel, il est tout simple qu’on veuille dominer la terre. Mais l’entreprise faite dans le dix-huitième siècle, par les philosophes de l’Europe occidentale, si elle était la conséquence logique, naturelle, infaillible, de la réformation religieuse du seizième siècle, n’en était pas moins pleine de périls. Ce qui s’est passé en France, depuis soixante ans, l’atteste haute-

  1. Adam Smith, par M. Cousin ; Séances de l’Académie des sciences morales et politiques, tome X, page 450