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les gouvernements en qui elle se personnifie, recouvrent leurs droits. La science économique s’appuie sur une connaissance de plus en plus exacte de la nature humaine. Si, par exemple, vous lisiez l’excellent traité d’économie politique qu’a tout récemment publié, en Angleterre, M. J. S. Mill, vous ne pourriez vous empêcher de remarquer à quel point les idées sur l’homme et sur la société, qui percent à travers les pages de ce livre, et qui l’ont inspiré, sont saines, sont conformes à ce qu’enseignent de nos jours les moralistes et les philosophes les plus éminents, ceux qui, heureusement pour le repos de la société, font le plus école. Vous y verriez, Messieurs, le principe d’association élevé sur le pavois, et les gouvernements restaurés dans l’exercice des pouvoirs qui leur appartiennent. Et sauf quelques détails et quelques points particuliers, la grande majorité des économistes de l’Europe serait fière d’accepter cet ouvrage comme l’exposé de ce qu’ils pensent.

Je m’étais proposé de vous donner, dans cette première séance, un aperçu de cette vérité, que je démontrerai en détail dans le cours de cette année, que l’économie politique est une émanation de la morale, que les principes et les notions qu’elle établit sont le reflet des principes et des notions qui appartiennent à cette branche de la philosophie. La morale et la philosophie étant d’un ordre supérieur et d’une plus grande généralité, non-seulement les lois de la morale ont plus d’ampleur que celles de l’économie politique, par cette simple raison que le tout est plus grand que la partie, mais il y a aussi certaines lois morales qui se révèlent bien moins que d’autres dans l’économie politique. C’est que l’économie politique n’est point un abrégé de la morale. Ce n’est pas la morale tout entière vue en raccourci, à la façon de ce qui se passe dans la chambre obscure, où le paysage qui est devant nous s’aperçoit avec une réduction proportionnelle de toutes les parties. L’économie politique a un cadre à elle où elle montre des principes empruntés au domaine de la morale ; mais les uns sont grossis, comme s’ils étaient examinés au travers d’un microscope, d’autres sont moins développés, et quelques-uns se distinguent à peine ; non que, pris en eux-mêmes, ils soient de peu d’importance, mais il n’appartient pas à l’économie politique de les embrasser plus étroitement : elle s’abuserait sur les attributions qui lui sont propres, si elle leur donnait plus de place sur son terrain.

J’en fais l’observation à cause d’un des principes les plus beaux de la morale, celui de la fraternité, qu’on a récemment encadré dans la devise nationale.

Le sentiment qu’on nomme aujourd’hui la fraternité, qui, depuis des siècles, était plutôt connu dans la langue de la religion et de la philosophie sous le nom de la charité, est, je tiens à le dire, un de ceux sur lesquels il faut compter le plus pour sauver la société des périls qu’elle court dans la conjoncture présente. La haine et l’envie sont