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qui traitent des corps inorganiques, on isole, pour les étudier, les qualités physiques et les propriétés chimiques. C’est ainsi que la médecine envisage isolément, une à une, les différentes parties du corps humain, le système nerveux, le système musculaire, la circulation sang, la charpente osseuse, que sais-je encore ; mais, de même qu’un système d’histoire naturelle, qui ne tiendrait compte que des caractères chimiques des corps, serait fort imparfait, de même qu’une thérapeutique qui, comme celle des Chinois, dit-on, voudrait juger de tous les états pathologiques du corps humain par le battement du pouls, serait plus qu’incomplète, serait radicalement fausse, de même on se jetterait dans une entreprise bien dangereuse, si l’on tentait de donner à la société un plan d’économie entaché d’omissions, qui ne sont à leur place que transitoirement dans le cours successif des investigations abstraites de la science économique.

La société, quand elle arrange son économie, doit prendre l’homme tel qu’il est, avec tous ceux de ses attributs qui sont en rapport avec la formation et la répartition de la richesse, et non pas un fragment de l’homme. Autrement, elle ne serait plus elle-même qu’un fragment de société, quelque chose comme un individu à qui viendrait à manquer le sens de l’ouïe ou celui de la vue. Elle se condamnerait à végéter dans un rang inférieur parmi les nations. Cherchez impartialement, parmi les sociétés européennes, celles qui ont la plus forte vitalité, vous trouverez que ce sont celles qui ont le mieux pondéré, dans leur organisation économique comme dans leur organisation politique, les devoirs multiples et divers de l’homme et les droits qui sont la réciproque des devoirs. Voilà la cause, le reste est l’effet.

Je ne disconviens pas que, parmi les économistes, il y en a eu et il en est encore de fort distingués, d’après lesquels l’intérêt personnel ou la liberté individuelle appliquée à la production de la richesse suffirait à l’établissement du bon ordre économique. Mais les personnes qui partagent cette opinion et lui prêtent l’appui de leur conviction et de leur talent se laissent abuser par un mirage qui est un des effets de l’harmonie universelle. Sans doute, en vertu de cette harmonie admirable, il est possible de déduire de la notion de l’intérêt personnel bien entendu une très-grande partie des devoirs politiques et moraux de l’homme, car, à la rigueur, tout est dans tout. Mais, quelque habile qu’on soit, il est impossible qu’on ne fasse pas alors quelques raisonnements qui soient boiteux. Alors, en effet, on imite gratuitement, sans avoir comme eux le motif de la pénitence, ces pèlerins qui s’infligeaient la peine de parcourir un grand espace sur une seule jambe ou à genoux. On aurait tort de raisonner de la sorte, quand même les conclusions auxquelles on parviendrait ainsi seraient toutes vraies, ce que je crois impossible. À la rigueur aussi, l’homme auquel manque un sens parvient à y suppléer, jusqu’à un certain point, avec l’aide des autres sens. Je me souviens que,