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dans l’odieux. Voilà ce que dit la morale, et, comme conclusion pratique, elle ajoute : c’est pour cela qu’il existe pour l’individu trois mobiles distincts, sous la triple impulsion desquels il doit toujours se tenir, l’intérêt personnel, l’intérêt de l’État ou de la société, les décrets de la justice et de la bonté éternelles. C’est pour cela qu’aux instincts de la personnalité se joignent l’action des lois et des mœurs publiques, et l’influence de la religion. C’est pour cela enfin que nous devons sans cesse nous considérer comme des justiciables, sujets à comparaître devant trois juridictions : celle de notre conscience, celle des lois et de l’opinion, celle dont le tribunal est au ciel.

À mesure que s’accomplit le progrès véritable du genre humain, l’individu devient de plus en plus digne de la liberté. Le cri spontané de sa conscience l’avertit d’une manière de moins en moins imparfaite de ce qu’attend de lui l’intérêt de l’État, et de ce qui est conforme à la loi de Dieu. Mais il serait chimérique de conclure de là que l’homme puisse jamais se passer de l’autorité politique et de la foi religieuse. Le moraliste qui tente d’édifier une société sur le seul sentiment de l’intérêt individuel, nourrit un fol espoir. De même le publiciste qui imaginerait qu’il est possible de donner de l’ordre et de la prospérité à un État par le seul moyen d’une liberté illimitée, sans la garantie d’une autorité forte et vigilante, pousserait sa patrie vers un gouffre. Pareillement, l’économiste qui supposerait que l’intérêt personnel ou la libre concurrence suffit à constituer une doctrine complète, tournerait dans un cercle d’erreur. L’économie nationale serait mauvaise si le gouvernement était dépouillé de toute initiative, de tout moyen de surveillance et d’action. La répartition des produits se ferait d’une manière inique, la production même de la richesse s’arrêterait, et une hideuse misère établirait son empire dans toute société où les droits du faible et les devoirs respectifs des hommes les uns envers les autres n’auraient pas pour sauvegarde la croyance en un Dieu juste qui punit et récompense dans une autre vie.

Très-souvent, pour la commodité du raisonnement, dans l’économie politique, comme dans toute autre science, il est utile de s’abandonner un moment à l’abstraction. C’est commandé par la nature bornée de notre esprit, qui, ne pouvant embrasser tout à la fois, ni voir un sujet sous toutes les faces d’un même coup d’œil, est obligé, pour saisir ce qu’il étudie, de le décomposer et d’isoler successivement les différentes parties d’un même tout. Ainsi, il est souvent convenable, dans les recherches scientifiques, de considérer l’homme en dehors de toute direction, de toute assistance, de toute répression de l’autorité politique, et de le dégager de ces rapports généraux par lesquels la religion et la philosophie le montrent lié à l’univers, aux générations futures et aux générations passées, comme aux générations présentes. C’est par une nécessité semblable que, dans les sciences naturelles,