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LA GRAND'GUEULE.

l’arianisme, marchant devant la croix victorieuse qui les avait terrassés et vaincus ? Était-ce une réminiscence du paganisme qui avait représenté le dieu de la lumière chassant devant lui le dieu des ténèbres ?

C’étaient là les suppositions des gros bonnets de la science. Le peuple, lui, ne voyait dans la Grand’Gueule que l’effigie authentique d’un monstre bien réel, ayant existé en chair et en os, et s’étant repu, pendant de longues années, du sang des malheureuses filles de Sainte-Croix, assez imprudentes pour s’égarer dans les souterrains des caves de l’abbaye qui lui servaient de repaire.

Puis, selon les uns, le dragon, traversant les airs à la vue de sainte Radégonde, aurait été frappé de mort tout simplement par l’effet foudroyant d’une prière fervente que la Sainte avait adressée à Dieu ; selon d’autres, il aurait succombé sous les coups d’un criminel auquel on avait fait grâce de la vie, à condition qu’il tuerait le monstre, mais qui fut empoisonné par son haleine empestée et périt dans son triomphe.

Qu’était-ce donc que la Grand’Gueule ? Nous vous conseillerons, ami lecteur, d’aller demander à nos confrères les antiquaires de Metz ce qu’était le Graouilli, dragon ailé qu’on promenait dans cette ville aux jours de saint Marc et des Rogations ; à nos confrères de Rouen, ce qu’était la Gargouille ; à nos confrères de Tarascon, ce qu’était la Tarasque ; à nos confrères de Paris, ce qu’était le monstre volant que l’on promenait aussi dans les processions, et partout avec grand renfort de pâtisseries et de gâteaux : ils vous répondront que c’étaient des monstres audacieux qui avaient commis de terribles ravages, et qui avaient succombé sous l’intervention protectrice des saints patrons du pays.

Cette identité, si remarquable dans des faits qui n’ont pu se passer identiques dans un si grand nombre de lieux différents, nous porterait à incliner vers les interprétations allégoriques qui ont pu se prêter partout aux mêmes sens, et donner lieu par conséquent partout aux mêmes manifestations.

Quoi qu’il en soit, l’effigie de la Grand’Gueule, après