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LE JARDIN PARFUMÉ

Sort le regard, tantôt comme un phare éclairé,
Tantôt surpris d’un rêve, et noyé dans le vague.

Tes doigts aux ongles fins dorés par le henné,
Roulent indolemment le papel blanc ou rose,
Empli du tabac blond qui du souci repose,
Ou du kif, le charmeur qui rend illuminé.

Et, comme en son éther, cette vision nage
Dans ce delta d’odeurs béni par le koran :
Trinité du benjoin, du musc et du safran,
Dont l’ivresse à la fois est suave et sauvage.

Atmosphère sans nom, pleine d’étrangetés
Où la femme apparaît, fluide et condensée,
Tu fais de trois mille ans reculer ma pensée,
Vers l’âge primitif des fortes voluptés ;

Et ton sens éclatant se dégage du mythe,
Comme fait le soleil des nuages menteurs,
Age d’or, où l’amour accourait aux senteurs
Qu’exhalait en marchant la jeune sulamite.

V

Je comprends que l’amour, ce grand mangeur d’encens,
Reste l’éternel Dieu d’une terre embaumée
Où, pour lui, la nature, éblouissante Almée,
Palpite par des sens qu’elle ajoute à ses sens.