Page:Chefs-d'oeuvre des auteurs comiques, Tome 5, 1846.djvu/262

Cette page n’a pas encore été corrigée

LISETTE, à Dorante, voyant pleurer Lucile.

N'avez-vous point de honte ?

DORANTE

Eh ! Ne m'accable pas ! [1800]

Tu sais mon innocence. Apaisez vos alarmes,

Lucile ! Retenez ces précieuses larmes !

C'est mon injuste amour qui les a fait couler ;

C'est lui qui, toutefois, pour moi doit vous parler.

L'amour est défiant, quand l'amour est extrême. [1805]

LUCILE

S'il se faut quelquefois défier quand on aime,

C'est de tout ce qui peut, dans le coeur alarmé,

Soulever des soupçons contre l'objet aimé.

Je tiens, vous le savez, cette sage maxime,

De ces vers qui vous ont mérité mon estime ; [1810]

De votre propre idylle, ouvrage séducteur,

Où votre esprit se montre, et non pas votre coeur.

DORANTE

Ni l'un ni l'autre. Il faut qu'enfin je le confesse,

Madame, et que je cède au remords qui me presse.

Du moins, vous concevrez, après un tel aveu, [1815]

Pourquoi tout mon bonheur me rassurait si peu.

C'est que je n'en jouis qu'à titre illégitime ;

C'est que tous ces écrits, source de votre estime,

Vous venaient par mes soins, mais ne sont pas de moi.

LUCILE

Ils ne sont pas de vous !

DORANTE

Non. [1820]

LISETTE

Le sot homme ! [1820]

LUCILE

Quoi ? ... [1820]

DORANTE

Laissant lire, il est vrai, dans le fond de mon âme,

J'inspirais le poète, en lui peignant ma flamme.

Que son art, à mon gré, s'y prenait faiblement !

Et que le bel esprit est loin du sentiment !

Mais cet art vous amuse ; il a fallu vous plaire, [1825]

Laisser dire des riens, sentir mieux, et se taire.

N'est-ce donc qu'à l'esprit que votre coeur est dû ?