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Et sur le ton plaintif on vous trouve toujours ?

DORANTE

Avant que sur ce ton vous le preniez vous-même,

Vous qui savez, madame, à quel point je vous aime, [1770]

Souffrez qu'on vous instruise ; après quoi décidez

Si mes soupçons jaloux n'étaient pas bien fondés.

Je surprends mon rival...

LUCILE

Oui, j'ai tort de me plaindre !

En effet, ma faiblesse autorise à tout craindre ;

Et l'aveu que j'ai fait, trop naïf et trop prompt, [1775]

De votre défiance a mérité l'affront.

Mais vous trouverez bon qu'en me faisant justice,

Cette justice même aussi nous désunisse ;

Et rompe, entre nous deux, un noeud mal assorti,

Dont jamais on ne s'est assez tôt repenti. [1780]

DORANTE

Entendons-nous, de grâce ! Encore un coup, madame,

Bien loin, qu'en tout ceci, je mérite aucun blâme,

Croyez, si j'eusse pu ne me pas alarmer,

Que je ne serais pas digne de vous aimer.

Devais-je voir en paix...

LUCILE

Depuis quand, je vous prie, [1785]

N'est-on digne d'aimer, qu'autant qu'on se défie ?

Ainsi l'amour jamais doit n'être satisfait ?

Et le plus soupçonneux est donc le plus parfait ?

Vos vers m'en avaient fait toute une autre peinture.

Juste sujet, pour moi, de crainte et de rupture ! [1790]

J'aime trop mon repos, pour le perdre à ce prix ;

Et ne jugerai plus des gens par leurs écrits.

DORANTE

Mais ayez la bonté...

LUCILE

Ma bonté m'a trahie !

Vous feriez, je le vois, le malheur de ma vie.

Je ne recueillerais de mes soins les plus doux, [1795]

Que l'éclat scandaleux des fureurs d'un jaloux.

Que n'ai-je conservé, prévoyante et soumise,

L'insensibilité que je m'étais promise !

Lisette, je t'ai crue ; et toi seule, tu m'as...