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et ne peut faire autant de mal que lui,
ni réduire un pays à un tel degré de misère,
les hommes l’appellent brigand ou voleur.
Mais, comme je suis un homme mal versé dans les textes,
je ne vous citerai point de texte à l’appui ;
je reviens à mon conte, tel que je l’ai commencé.
Quand la femme de Phébus eut fait quérir son bon ami,
ils se livrèrent aussitôt à leur plaisante folie.
240 Le blanc corbeau qui était toujours suspendu dans sa cage,
vit leur besogne et ne dit pas un mot.
Et quand Phébus le seigneur fut de retour,
le corbeau chanta : « Coucou ! coucou ! coucou ! »
« Eh quoi, l’oiseau (dit Phébus), quelle chanson nous chantes tu ?
N’avais-tu pas accoutumé à chanter si joyeusement
que pour mon cœur c’était une jouissance
d’ouïr ta voix ? Hélas, quelle chanson est la tienne ! »
— « Par Dieu (dit l’autre), je ne chante pas faux ;
Phébus (dit-il), malgré ton mérite,
250 malgré toute ta beauté et ta noblesse,
malgré toutes tes chansons et toutes tes musiques,
malgré toutes tes attentions, ton œil a un bandeau
que t’a mis un homme de petite réputation,
qui ne vaut près de toi, si l’on fait comparaison,
pas le prix d’un moucheron ; j’en réponds sur ma vie !
car sur ton lit je l’ai vu caresser ta femme. »
Que voulez-vous de plus ? le corbeau lui eut tôt dit,
par des signes certains et de franches paroles,
comment sa femme avait eu son déduit,
260 lui infligeant grand’honte et grande vilenie ;
et lui répéta qu’il avait vu la chose de ses yeux.
Phébus se détourna vivement,
il lui semblait que son cœur de douleur éclatait en deux ;
il banda son arc, y posa une flèche,
et dans sa colère lors il tua sa femme.
Voilà l’événement, il n’y a plus rien à dire[1] ;
dans sa douleur il brisa ses instruments de musique,
et harpe et luth et rebec et psaltérion,
et enfin il brisa ses flèches et son arc.

  1. Ovide au contraire s’attarde à décrire le drame.