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et tout d’abord, voici quelle fut sa demande :
« Quelle sorte de femme es-tu ? » lors fit-il.
— « Je suis née gentille femme » dit-elle.
— « Je te demande (dit-il), mal gré que tu en aies,
ta religion et ta croyance. »

« Vous avez commencé votre question sottement,
(dit-elle), qui voudriez deux réponses enclore
430 en une demande ; c’est s’enquêter en ignorant. »
Almache répondit à ce jugement :
« D’où vient que tu réponds si rudement ? »
— « D’où ? (dit-elle, à cette question),
de conscience et de bonne foi non feinte. »

Almache dit : « N’as-tu donc cure
de mon pouvoir ? » Elle répondit :
« Votre puissance (dit-elle) est bien peu à craindre ;
car le pouvoir de tout mortel n’est
que comme une vessie, pleine de vent, pour certes.
440 Car avec une pointe d’aiguille, quand elle est gonflée,
toute son enflure peut être mise bien bas. »

— « Tu étais en pleine faute en commençant (dit-il),
et maintenant dans ta faute tu persévères ;
ne sais-tu pas que nos puissants princes généreux
ont ainsi commandé et fait ordonnance,
que tout chrétien souffrira pénance
s’il n’abjure pas sa chrétienté,
mais s’en ira quitte, s’il veut la renier ? »

— « Vos princes errent comme fait votre noblesse,
450 (dit lors Cécile), et par folle sentence
vous nous faites coupables et ce n’est pas vrai ;
car vous, qui savez bien notre innocence,
pour ce que nous faisons révérence
au Christ, et que nous portons nom chrétien,
vous nous l’imputez à crime et à blâme.

Mais nous qui savons que ce nom veut dire
vertueux, ne pouvons pas l’abjurer. »
Almache répondit : « Choisis entre les deux ;
faire sacrifice ou renier chrétienté