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sauf que, d’aventure, quelquefois aux danses,
où les jeunes gens se font des politesses,
il se peut bien qu’il regardât son visage
de la façon dont un homme demande une grâce ;
mais elle ne savait rien de son sentiment.
960 Cependant il arriva, qu’avant de partir de là,
comme il était son voisin,
et était homme de rang et d’honneur,
et qu’elle l’avait connu au temps jadis,
ils se mirent à causer ; et voilà que de plus en plus
vers son but s’avança Aurélius,
et, lorsqu’il vit le moment, il parla ainsi :

« Madame (dit-il), par Dieu qui a fait ce monde,
si j’avais su que cela pourrait réjouir votre cœur,
j’aurais voulu, le jour où votre Arveragus
970 s’en fut outre-mer, que moi, Aurélius,
m’en fusse allé d’où je ne serais jamais revenu ;
car je sais bien que mon service est en vain.
Ma récompense n’est que d’avoir le cœur brisé ;
madame, ayez pitié de ma peine cruelle,
car d’un mot vous pouvez me tuer ou me sauver.
Ici, à vos pieds, plût à Dieu que je fusse enterré !
Je n’ai pas loisir, maintenant, d’en dire davantage.
Ayez merci, douce dame, ou vous me ferez mourir. »

Elle leva alors les yeux sur Aurélius :
980 « Est-ce là votre désir (dit-elle), et parlez-vous ainsi ?
Jamais auparavant (dit-elle), je n’avais su ce que vous vouliez
Mais maintenant, Aurélius, que je connais votre pensée,
par ce Dieu qui me donna l’âme et la vie,
je ne serai jamais une femme infidèle
en parole ni en acte, tant que j’aurai ma raison ;
je veux être à celui à qui je suis liée ;
prenez ceci comme réponse finale de moi. »
Mais après cela, en plaisantant, elle dit ainsi :
« Aurélius (dit-elle), par le dieu qui est là haut sur nous,
990 je vous accorderai pourtant d’être votre amour,
puisque je vous vois si piteusement vous lamenter ;
écoutez : le jour où, le long de la Bretagne,