Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/421

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’horizon, en cette latitude.
La nuit de son manteau sombre et rude
commençait à recouvrir notre hémisphère ;
1800aussi cette joyeuse assemblée prend congé
de Janvier, avec des remerciements de part et d’autre.
Vers leurs demeures, ils chevauchent gaiement,
et là font toutes choses qu’il leur plaît,
et quand ils voient qu’il est l’heure, vont se reposer.
Bientôt après, l’impatient Janvier
voulut aller se coucher, il ne voulut plus attendre.
Il boit de l’hypocras, du clairet[1], du vernage[2]
épicé et chaud, pour se donner du cœur,
et but quantité d’électuaires très forts,
1810tels que ce maudit moine dom Constantin[3]
les mentionne dans son livre De Coïtu.
A les prendre tous il ne fut point rétif.
Et à ses amis intimes il parla ainsi :
« Pour l’amour de Dieu, aussitôt que possible,
faites sortir tout le monde de façon courtoise. »
Et ils firent ainsi qu’il le recommandait.
Les hommes vident leur verre, et vite on tire les rideaux ;
la mariée fut menée au lit aussi immobile qu’une pierre
et, quand le lit eut par le prêtre été béni,
1820hors de la chambre chacun s’est retiré.
Et Janvier a saisi et serré dans ses bras
sa fraîche Mai, son paradis, sa femme ;
il la cajole et lui donne maints baisers
avec les poils épais de sa barbe rude,
pareille à la peau d’un chien de mer, piquante comme la ronce,
car il était rasé de frais à sa manière.
Il se frotte contre son tendre visage
et parle ainsi : « Hélas ! il me faut faire déplaisir
à vous, mon épouse, et grandement vous offenser,
1830avant que l’heure vienne où je descendrai de cette chambre ;
mais néanmoins considérez ceci (dit-il) :
il n’est pas d’ouvrier, quel qu’il soit,
qui puisse ouvrer à la fois vite et bien ;

  1. Infusion de plantes odorantes dans du vin miellé et sucré.
  2. Vin de Toscane. Voir la note du vers 1261, B (p. 164).
  3. Écrivain de la fin du XIe siècle.