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Bien que je sois tout blanc, je suis comme un arbre
qui fleurit avant de porter fruit.
Un arbre en fleurs n’est ni sec ni mort
Je ne me sens nulle part blanc que sur ma tête ;
mon cœur et tous mes membres sont aussi verts
que le laurier que l’on voit vert toute l’année
et puisque vous avez entendu tout mon dessein
je vous prie de consentir à ce que je veux. »
Divers amis diversement lui citèrent
1470sur le mariage maints exemples anciens.
D’aucuns blâmèrent le mariage, d’autres le louèrent, certes,
mais enfin, pour être bref,
comme toujours se produit une altercation
entre amis dans les disputoisons,
il advint une querelle entre ses deux frères
dont l’un se nommait Placebo[1]
et Justinus en vérité était le nom de l’autre.
Placebo dit, « O Janvier, mon frère,
vous n’aviez guère besoin, mon cher seigneur,
1480de demander le conseil d’aucun de ceux qui sont céans,
n’était que vous êtes si plein de sagesse
qu’il ne vous plaît, dans votre haute prudence,
de vous écarter de la parole de Salomon.
Cette parole dit à un chacun de nous :
« Ne fais rien sans conseil (ainsi dit-il),
et tu ne te repentiras pas de ce que tu auras fait[2] ».
Mais quoique Salomon ait dit cette parole,
mon bien cher frère et mon seigneur,
vrai comme je prie Dieu de conduire mon âme au repos,
1490je tiens que votre propre conseil est le meilleur.
Car, mon frère, écoutez mon opinion :
j’ai été homme de cour toute ma vie,
et, Dieu le sait, si indigne que je sois,
j’ai occupé un rang très élevé
près de seigneurs de très haute condition,
pourtant avec aucun d’eux je n’eus jamais de querelle ;
je ne les ai jamais contrariés, en vérité.
Je sais bien que mon seigneur en sait plus long que moi.

  1. Pour ce mot, voir la note du vers D. 2075.
  2. Ecclésiastique, ch. xxxii, 24.