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Ainsi se terminent heureusement les tristesses de cette journée,
car tous, hommes et femmes, font de leur mieux
pour finir ce jour en réjouissances et gaieté
jusqu’à l’heure où apparaissent au ciel les claires étoiles.
Car plus solennelle aux yeux de tous
était cette fête et de plus grande dépense
que ne l’avait été le festin de ses noces.

Pendant bien des années de haute prospérité
vécurent ces deux époux en concorde et repos,
1130et richement il maria sa fille
à un seigneur, l’un des plus nobles
de toute l’Italie ; et puis en paix et repos
il nourrit à sa cour le père de sa femme,
jusqu’à ce que l’âme s’évanouit du corps du vieillard.

Son fils succède à son héritage
en repos et paix, après la mort de son père ;
et lui aussi fut heureux en mariage,
mais ne mit pas sa femme à grande épreuve.
Le monde n’est pas aussi fort, on ne peut le nier,
1140qu’il l’était au vieux temps de jadis :
écoutez donc ce que mon auteur[1] dit là-dessus.

Cette histoire est racontée, non pas pour que les épouses
imitent Grisilde dans son humilité,
car elles ne pourraient le supporter, le voulussent-elles ;
mais pour que chacun de nous, en sa condition,
soit ferme dans l’adversité
comme le fut Grisilde : c’est pour cela que Pétrarque a écrit
cette histoire qu’il a rédigée dans le grand style.

Car, puisqu’une femme fut si patiente
1150envers un homme mortel, bien plus encore devons-nous
prendre en gré tout ce que Dieu nous envoie,
car il est bien juste qu’il éprouve sa créature.
Mais jamais il ne tente l’homme qu’il racheta,
comme le dit saint Jacques, si vous lisez son épltre[2] ;
seulement il nous éprouve tous les jours, sans aucun doute,

  1. Pétrarque.
  2. Épître de saint Jacques, I, 13 : « et Il ne tente aucun homme >.