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Mais, puisque vous m’offrez la dot
que je vous ai apportée, j’ai bien souvenance
850que c’étaient mes misérables vêtements, nullement beaux,
lesquels il me serait difficile de retrouver maintenant.
O Dieu bon ! combien doux et combien aimable
vous sembliez, de visage et de paroles,
le jour où se fit notre mariage !

Mais ce qu’on dit est vrai, — du moins je le trouve véritable,
car en effet je l’éprouve à présent —
l’amour vieilli n’est plus ce que jeune il était.
Mais soyez sûr, mon seigneur, que nulle adversité,
dût la mort s’ensuivre, ne fera jamais
860qu’en actes ou en paroles je me repente
de vous avoir donné mon cœur sans retour[1].

Mon seigneur, vous savez que, dans la maison de mon père,
vous me fîtes dépouiller mes pauvres vêtements
et m’habillâtes richement, en votre grâce.
A vous je n’apportai rien autre, je le sais,
que ma foi et mon dénûment et ma virginité.
Et maintenant je vous rends mes vêtements
ainsi que mon anneau nuptial, pour jamais.

Le reste de vos joyaux est tout prêt
870dans votre chambre, j’ose l’affirmer sans crainte.
Nue je quittai la maison de mon père (dit-elle),
et nue je dois y retourner.
A tout votre bon plaisir j’obéirai volontiers.
Cependant, j’espère que ce n’est pas votre intention
que je parte de votre palais sans une chemise.

Vous ne pouvez faire chose si déshonnête
que d’exposer, nu, au peuple, chemin faisant,
le sein même qui porta vos enfants :
aussi, je vous en prie,
880faites que je n’aille pas mon chemin comme un ver.
Souvenez-vous, mon bon seigneur tant aimé,
que j’étais votre femme, quelque indigne que je fusse.

  1. Ces dix derniers vers 852-861 appartiennent en propre à Chaucer, comme d’ailleurs l’accent humain de tout ce discours.