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d’un cœur patient supportez, je vous le conseille,
ce coup de la fortune ou du sort. »

Et elle répondit avec soumission :
« Mon seigneur (dit-elle), je sais et j’ai toujours su
qu’entre votre magnificence
et ma pauvreté, il est impossible à quiconque
de faire comparaison, on ne le peut nier.
Je ne me suis jamais tenue digne, en aucune manière,
d’être votre épouse, non, pas même votre chambrière.

820Et dans cette maison, où vous me fîtes dame, —
j’en prends le Très-Haut à témoin,
et puisse t-il réconforter mon âme aussi sûrement que je dis vrai ! —
jamais je ne me considérai comme souveraine ou maîtresse,
mais comme l’humble servante de votre altesse,
ce que je resterai toujours, tant que durera ma vie,
plus qu’aucune autre créature humaine.

De ce que vous m’ayez si longtemps, dans votre bonté,
tenue en honneur et noblesse,
alors que je n’étais pas digne de l’être,
830j’en remercie Dieu et vous, et je le prie
de vous en récompenser : c’est tout ce que je puis vous dire.
Je retournerai volontiers chez mon père,
et j’habiterai avec lui jusqu’à la fin de mes jours.

Là où je fus élevée comme petit enfant,
jusqu’à ma mort je mènerai la vie
d’une veuve, chaste toujours, de corps et de pensée.
Car, puisque je vous ai donné ma virginité
et que je suis votre fidèle épouse, n’en doutez pas,
Dieu garde la femme d’un tel seigneur de prendre
840un autre homme comme mari ou conjoint !

Et avec votre nouvelle femme, puisse Dieu, dans sa grâce,
vous accorder bien-être et prospérité !
car je lui céderai volontiers cette place
où j’avais accoutumé d’être heureuse ;
car puisque vous, mon seigneur (dit-elle),
vous autrefois le souverain bien de mon cœur,
vous voulez que je parte, je partirai quand il vous plaira.