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si grande que soit votre fortune, vous devez vous connaître[1].
Prenez garde à chacun des mots que je vous dis :
il n’est personne qui les entende, sauf nous deux.

Vous savez bien vous-même comment vous vîntes ici,
en cette maison, il n’y a pas si longtemps ;
et, bien qu’à moi vous soyez chère et précieuse,
480à mes nobles vous ne l’êtes nullement ;
ils disent que c’est pour eux grand’honte et malheur
que d’être tes sujets et d’être tes esclaves
à toi, qui es née dans un petit village.

Et c’est surtout depuis la naissance de ta fille
que ces paroles ont été prononcées, j’en suis sûr ;
mais je désire, maintenant comme toujours,
vivre avec eux en paix et repos ;
je ne puis, en cette affaire, être inconsidéré.
Il faut que de ta fille je fasse pour le mieux,
490non pas comme je voudrais, mais comme il plaira à mon peuple.

Et, cependant, Dieu le sait, ce m’est fort pénible,
mais néanmoins, à votre insu
je ne veux rien faire, mais ce que je veux (dit-il),
c’est votre assentiment en cette chose.
Montrez-moi, par vos actes, cette patience
que vous m’avez promise et jurée dans votre village,
le jour où se fit notre mariage. »

Quand elle eut écouté tout ceci, elle ne s’émut
ni en paroles, ni dans son air, ni sur son visage ;
500car, semblait-il, elle n’en avait point de douleur.
Elle dit : « Mon seigneur, tout dépend de votre bon plaisir ;
mon enfant et moi, d’un cœur soumis,
nous sommes tout à vous, et vous pouvez sauver ou détruire
votre propre chose : faites à votre volonté.

Sur mon âme, que Dieu bénisse, il n’est rien
de ce qui vous plaît qui me puisse déplaire,
rien que je désire posséder,

  1. Le vers 474 est assez obscur, surtout avec la ponctuation de M. Skeal.
    Nous avons ajouté un point et virgule, après le vers 473, que l’éditeur rattachait au suivant sans aucune ponctuation.