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1130veut que sur lui nous fondions notre noblesse ; »
car de nos ancêtres nous ne pouvons rien prétendre
que biens temporels que l’homme peut endommager ou mutiler.
Chacun sait ceci tout aussi bien que moi,
que si noblesse était plantée par nature
en une certaine lignée et descendait dans ce lignage,
en leur vie publique et privée, ils ne pourraient jamais cesser
de faire beaux offices de noblesse ;
ils ne pourraient faire chose vilaine ou vicieuse.
Prends du feu et porte-le dans la maison la plus sombre
1140entre ce pays et le mont du Caucase,
et qu’on ferme les portes et qu’on s’en aille ;
pourtant le feu brûlera et flambera aussi clair
que si vingt mille hommes le pouvaient regarder ;
il fera toujours son propre office naturel,
je l’affirme sur ma vie, jusqu’à ce qu’il meure.
Par ceci vous pouvez bien voir comment la noblesse
n’est point liée à la possession
puisque les hommes ne font pas leur œuvre
toujours comme fait le feu, voyez, selon sa nature !
1150Car Dieu le sait, on peut voir bien souvent
le fils d’un seigneur faire vilaine action honteuse ;
et celui qui veut avoir la louange de sa noblesse
parce qu’il est né d’une noble maison,
et qu’il a eu des ancêtres nobles et vertueux,
et ne veut faire lui-même de nobles actions,
et imiter ses nobles ancêtres qui sont morts,
il n’est point noble, qu’il soit duc ou comte ;
car les actions mauvaises de vilain font un manant.
Car la noblesse n’est que le bon renom
1160de tes ancêtres pour leur haute vertu,
qui est chose étrangère à ta personne.
Ta noblesse provient de Dieu tout seul ;
donc notre vraie noblesse vient par la grâce,
et ne nous a été nullement léguée avec notre manoir.
Pense combien noble, comme dit Valérius[1],
fut ce grand Tullus Hostilius,
qui de pauvreté s’éleva à haute noblesse.

  1. Valérius Maximus, lib. III, cap. 4.