Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que la première chose que je requerrais de lui
il la ferait, si elle était en son pouvoir.
Devant la cour donc, je te prie, sire chevalier,
(dit-elie), de me prendre pour femme ;
car tu sais bien que tu me dois la vie.
Si j’en ai menti, dénie-le sur ta foi. »
Le chevalier répondit : « Hélas et malheur !
Bien sais-je que telle fut ma promesse.
1060Pour l’amour de Dieu je te prie de choisir une autre
prends tout mon bien et renonce à moi. »
« Si je le fais (dit-elle), malédiction sur toi et sur moi !
Car bien que je sois vieille et laide et pauvre,
je ne voudrais pour tout le métal et tout le minerai
qui sous la terre est enfoui, ou qui gît au-dessus,
renoncer à être ta femme et aussi ton amante ! »
« Mon amante (dit-il), non, ma damnation !
Hélas ! qu’aucun de ma race
fasse jamais si hideuse mésalliance ! »
1070Mais tout fut vain ; la fin est qu’il
fut contraint : il lui fallut l’épouser ;
or prend sa vieille femme et se met au lit.
   A présent d’aucuns diraient d’aventure
que c’est par paresse que je ne prends soin
de vous dire la joie et toute l’ordonnance
de la fête qui se fit en ce jour-là.
Et à ce reproche je répondrai brièvement :
je dis qu’il n’y eut ni fête ni joie du tout ;
il n’y eut que tristesse et grande affliction ;
1080car en secret il l’épousa un matin,
et tout le jour ensuite se cacha comme un hibou,
tant il était marri, si laide était sa femme.
Grande fut la peine que le chevalier eut en son cœur,
quand avec sa femme il fut couché au lit ;
il se tourne et se roule d’un côté et de l’autre.
Sa vieille femme était couchée ne cessant de sourire,
et disait : « Cher mari, benedicite !
Tout chevalier agit-il comme vous avec sa femme ?
Est-ce la règle dans la maison du roi Arthur ?
Tous ses chevaliers sont-ils aussi dédaigneux ?
1090Je suis votre propre mie et aussi votre femme ;