Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Eh ! va l’amble, le trot, le pas[1], ou va t’asseoir ;
tu troubles nos plaisirs avec ces façons-là. »
840     — « Ah ! c’est ainsi, messire Semoneur (dit le Frère),
eh bien, ma foi, je veux, avant que je m’en aille,
conter d’un semoneur un petit conte ou deux
qui feront rire un brin tous les gens qui sont là. »
    — « Or bien-, mon Frère, or bien, que le diable t’emporte,
845(dit lors le Semoneur), et qu’il m’emporte aussi,
si je ne conte, moi, deux contes ou bien trois
de frères, devant que j’arrive à Sidingborne,
et qui feront, je crois, quelque peine à ton cœur ;
car, je le sais assez, ta patience est morte. »
850     Notre hôte s’écria : « Paix donc et tout à l’heure »,
et dit : « Laissez conter son conte à cette femme.
Vous vous gouvernez là comme gens soûls de bière.
Allez, dame, contez, et cela vaudra mieux. »
— « Messire, volontiers, tout comme il vous plaira,
855pourvu que j’aie congé de cet honnête frère. »
— « Oui-dà, dame (dit-il), contez, je vous écoute. »


Ici finit le Prologue de la Femme de Bath.


*
*   *


Le Conte de la femme de Bath[2].


Jadis, au temps de ce roi Arthur
que les Bretons célèbrent et grandement honorent,
tout ce pays était rempli de fées.
860La reine des Elfes avec sa joyeuse compagnie
dansait très souvent en maint pré vert ;

  1. En disant « le pas », nous corrigeons le texte, qui porte « la paix ». Le premier copiste a dû écrire pees au lieu de pace, comme il semble bien que, plus loin (G, 762), il a mis papeer pour peper.
  2. Le même conte est donné par Gower dans Confessio amantis. Livre 1. — Gower a dû, comme Chaucer, imiter des originaux français.
    Cf. The weddynge of Syr Gawen and Dame Ragnell, imprimé par Sir F. Madden dans son Syr Gawaine.
    Cf. Ballad of King Henrie, inséré par Walter Scott dans « Minstrelsy of the Scottish Border ». Voir l’étude de M. W. H. Clouston (Originale and Analogues, Chaucer Society, 1887, p. 483). M. Clouston cite des contes islandais, gaéliques, turcs qui ont la même donnée.
    Cf. la version de Dryden et le conte de Voltaire : Ce qui plait aux dames.