Mais pourtant je prierai toute la compagnie,
si je devise ici selon ma fantaisie,
que l’on ne prenne à cœur chose que je dirai,
pour ce que mon propos n’est que de plaisanter.
« Or, messeigneurs, or donc, je conterai mon conte.
Puissé-je ne jamais boire vin ni cervoise
si je ne vous dis vrai, les maris que j’ai eus,
comme trois furent bons, et mauvais les deux autres.
Ces trois maris étaient bons et riches et vieux :
à peine pouvaient-ils observer le statut
selon quoi ils étaient par devers moi tenus, —
Ainsi m’assiste Dieu, je ris lorsque je pense
comme je les faisais peiner dur nuitamment,
et, par ma foi, de ce ne tenais-je nul compte.
Ils m’avaient tout donné, leur or et leur trésor ;
plus ne m’était besoin de faire diligence
à gagner leur amour ni leur montrer égards.
Ils me chérissaient tant, par Dieu qui est là-haut,
que je ne faisais cas aucun de leur amour.
Femme sage toujours voudra se mettre en frais
pour qu’elle soit aimée là où elle ne n’est pas.
Mais puisque dans ma main je les tenais très bien
et qu’ils m’avaient donné leur terre tout entière,
qu’avais-je à faire, moi, de songer à leur plaire,
à moins que ce ne fût pour mon profit et aise ?
Mes maris, par ma foi, je les fis tant peiner
que mainte et mainte nuit ils chantèrent : « hélas ! »
Le bacon n’était pas pour eux, ce m’est avis,
que détiennent d’aucuns, en Essex, à Dunmow[1].
Si bien les gouvernai-je, en appliquant ma loi,
que chacun d’eux était bien heureux et content
quand il me rapportait beaux habits de la foire.
Ils étaient bien contents d’avoir bonnes paroles,
car Dieu sait si bien fort je ne les grondais pas.
Or écoutez comment je sus me gouverner,
prudes femmes, ô vous qui saurez me comprendre.
- ↑ Où l’on récompensait d’une flèche de bacon ou moitié d’un porc salé, le ménage qui avait vécu un an et un jour sans querelle. (Nares, s. v. Dunmow.)