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et conte cent fausses balivernes encore.
Lors je peine pour bien tendre le col,
et à l’est et à l’ouest, au-dessus du peuple, je fais aller ma tête,
comme fait un pigeon perché sur une grange.
Mes mains et ma langue vont d’un tel train
que c’est joie de me voir besogner.
400C’est sur l’avarice et sur abominations de la sorte
que porte tout mon sermon, pour les engager
à bailler leurs sols, et principalement à moi.
Car mon seul dessein est de gagner
et non point de corriger les pécheurs.
Peu me chaut, lorsqu’ils seront enterrés,
que leurs âmes s’en aillent cueillir les mûres des haies[1].
Car, certes, plus d’un sermon
vient, souventes fois, de mauvaise intention :
certains pour plaire aux gens et les flatter,
410et se pousser en avant par l’hypocrisie ;
certains par vaine gloire, d’autres par haine ;
car, lorsque je n’ose quereller un homme d’autre façon,
alors je fais piqûre cuisante avec ma langue
en prêchant, de façon qu’il n’évite point
d’être faussement diffamé, s’il
a péché contre mes frères ou contre moi.
Car, bien que je ne dise point son nom propre,
les gens savent bien de qui je veux parler,
à certains signes et à d’autres circonstances.
420C’est la monnaie dont je paye qui nous fait déplaisir ;
c’est ainsi que je crache mon venin, sous couleur
de sainteté, pour paraître saint et honnête.
Mais, brièvement, je vais vous dire mon dessein :
je ne prêche jamais que par convoitise ;
et donc mon texte est toujours, et a toujours été :
« Radix malorum est cupiditas. »
Ainsi je puis prêcher contre le vice même
que je pratique, et qui est l’avarice.
Mais, si moi-même suis coupable de ce péché,
430je puis pourtant faire autrui se partir
de l’avarice et en avoir cuisant remords.

  1. C’est-à-dire s’en aillent vagabonder, aillent à l’aventure.