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par crainte d’ours noirs, ou de taureaux noirs,
ou bien de diables noirs, qui les veulent prendre.
D’autres humeurs pourrais-je aussi parler
qui font se douloir maint homme en son sommeil ;
mais je veux passer aussi vite que je peux.
4130    Voyez Caton[1], qui fut homme si sage,
n’a-t-il pas dit : ne faites cas de songes ?
Or ça, monsieur, dit-elle, quand nous volerons à bas de la perche,
pour l’amour de Dieu, veuillez prendre un laxatif ;
au péril de mon âme et de ma vie,
je vous conseille pour le mieux, sans mentir :
il faut tout ensemble de colère et de mélancolie
vous purger ; et pour que vous ne tardiez,
bien que dans ce hameau il n’y ait point d’apothicaire,
je vais moi-même vous enseigner les herbes
4140qui seront pour votre santé et pour votre bien ;
et dans notre cour trouverai-je ces herbes
qui ont propriété, par nature,
de vous purger par en bas, et aussi par en haut.
N’oubliez ceci, pour l’amour de Dieu :
vous êtes colérique de complexions[2].
Gardez que le soleil, à son ascension,
ne vous trouve replet d’humeurs chaudes ;
car s’il le fait, j’ose bien gager un liard
que vous aurez fièvre tierce,
4150ou chaud mal, qui peut être votre mort.
Pendant un jour ou deux il faut prendre des digestifs
de vers, avant de prendre vos laxatifs :
de la lauréole, de la centaurée, de la fume terre,
ou bien de l’ellébore, qui pousse ici,
ou de l’épurge, ou des baies de bourdaine,
ou du lierre terrestre de notre cour, qui est si plaisant à voir ;
picorez-les tout comme ils poussent, et les avalez.
Soyez gaillard, mon mari, par la race de votre père !
Ne craignez les songes ; je ne puis vous dire plus. »
4160    « Madame, dit-il, grand merci de votre science.
Mais néanmoins, touchant dom Caton,

  1. Dionysius Cato, auteur de Disticha de Moribus, livre très lu dans les écoles du temps (lib. 2, dist.32).
  2. Ici, combinaison générale des humeurs, tempérament.