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ils vécurent en joie et en félicité ;
car chacun avait pour l’autre affection et amour.

Sauf en un point, que jamais elle ne voulut permettre
3470 en aucune façon qu’il couchât près d’elle
plus d’une fois, car c’était sa ferme intention
d’avoir un enfant, pour multiplier le monde ;
et dès qu’elle pouvait reconnaître
qu’elle n’était pas enceinte de cette fois,
elle lui permettait de faire selon son plaisir
bientôt après, mais une seule fois, c’est chose certaine.

Et si elle était enceinte à ce coup,
il ne devait plus jouer a ce jeu
jusqu’à ce que quarante grands jours fussent passés ;
3480 alors elle lui permettait une fois de le refaire.
Que cet Odenake fût ardent ou calme,
il n’obtenait d’elle rien de plus, car elle disait
que « c’était par la luxure des femmes, et à leur honte,
que les hommes, en d’autres cas, jouaient avec elles ».

3485 De cet Odenake elle eut deux fils
qu’elle éleva en vertu et en science ;
mais revenons maintenant à notre récit.
Je dis qu’aucune créature si digne de respect
et si sage en même temps, si libérale sans excès,
3490 si active dans la guerre, et si courtoise aussi,
ni qui pût mieux endurer les fatigues de la guerre,
n’exista jamais, dût-on chercher par tout le monde.

Sa magnificence ne pourrait se décrire
tant dans sa vaisselle que dans ses vêtements ;
3495 elle était toute vêtue de pierreries et d’or,
et elle ne laissait pas non plus, malgré la chasse,
d’étudier diverses langues parfaitement,
quand elle avait loisir, et se livrer à la lecture
de savants livres était tout son plaisir,
3500 afin d’apprendre à passer sa vie dans la vertu.

Et pour raconter cette histoire brièvement,
si vaillants ils furent, son mari et elle,
qu’ils conquirent maint vaste royaume