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Le roi Alla, quand il vit le moment venu,
avec sa chère Constance, sa sainte femme si douce,
1130retourna par droit chemin en Angleterre,
où ils vécurent en joie et en paix.
Mais peu de temps dure, je vous l’assure,
la joie de ce monde, car le temps ne veut s’arrêter,
du matin au soir il change comme la marée.

Qui vécut jamais en tel délice un seul jour[1]
qu’il n’ait été troublé ni par conscience,
ni par colère, désir ou semblable émoi,
par envie, orgueil, par passion ou péché ?
Je ne dis cette sentence que pour cette fin,
1140à savoir que peu de temps en joie ou en plaisir
dura le bonheur d’Alla près de Constance.

Car la mort qui lève son tribut sur les grands et les petits,
quand une année fut écoulée, à ce que j’imagine,
retira de ce monde le roi Alla
pour qui Constance ressentit un bien grand chagrin.
Or prions Dieu de bénir son âme !
et dame Constance, pour le dire enfin,
s’est mise en chemin pour la ville de Rome.

A Rome est arrivée cette sainte créature.
1150Elle y trouva ses amis sains et saufs ;
à présent elle a échappé à tous ses périls
et lorsqu’elle a retrouvé son père,
à genoux elle est tombée à terre
pleurant de tendresse en son cœur heureux
et elle a béni Dieu cent mille fois.

En vertu et en saintes aumônes
ils vécurent tous et ne se dispersèrent plus jamais.
Jusqu’à ce que la mort les sépara, ils menèrent cette vie.
Or, adieu, mon conte est à son terme.
1160Or que Jésus-Christ qui dans sa puissance peut envoyer
la joie après la douleur, nous gouverne par sa grâce
et nous garde tous qui sommes en ce lieu !
___________________________________Amen !


Ci finit le conte de l'Homme de loi, et suit après le Prologue du Marinier.


  1. Vers 1135-1130. Encore un emprunt au Pape Innocent III. De Contemptu Mundi, I, c. 22.