Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ô messager[1], rempli d’ivresse,
forte est ton haleine, tes membres toujours
et tu trahis tous les secrets.
Ton esprit est perdu, tu jacasses comme un geai,
ton visage est changé en un nouvel aspect !
Où règne l’ivresse dans une société,
là n’est nul conseil caché, sans nul doute.

Ô Donegilde, je n’ai pas d’anglais digne
d’exprimer ta méchanceté et ta barbarie !
780C’est pourquoi je t’abandonne au démon ;
à lui de raconter ta traîtrise !
Fi, femme-homme, fi ! mais non, par Dieu, je mens :
Fi ! esprit infernal, car j’ose bien déclarer
que si tu marches sur notre terre, ton esprit est en enfer !

Le messager revint de chez le roi,
et à la cour de la reine mère il s’arrêta
et elle fut très contente de revoir ce messager
et lui fit plaisir en tout ce qu’elle pouvait.
Il but et remplit bien l’intérieur de son ceinturon.
790Il s’endormit et ronfla à sa façon
toute la nuit, jusqu’au lever du soleil.

De nouveau ses lettres furent volées, toutes et chacune,
et l’on contrefit des lettres de cette teneur :
« Le roi commande à son connétable sur l’heure
sous peine de la hart et de haute justice,
qu’il ne souffre en aucune manière
que Constance demeure dans son royaume
trois jours et un quart d’heure de plus.

Mais que dans le même vaisseau où il la trouva
800il la mette elle, son jeune fils et tous ses biens
et qu’il la repousse loin de terre,
lui ordonnant que jamais plus elle ne revienne. »
Ô ma Constance, ton âme peut bien s’effrayer
et quand tu dormais être en peine dans tes rêves
alors que Donegilde ourdit toutes ces dispositions !

  1. Cette stance est encore tirée du traité du Pape Innocent III, De Contemptu Mundi, liv. II, chapitre XIX.