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et Constance ont pris le droit chemin
vers la mer, l’espace de cent toises ou deux cents,
pour jouer et flâner ça et là,
et sur leur route ils rencontrèrent l’aveugle
550vieux et courbé, aux yeux entièrement clos.

« Au nom du Christ, (s’écria ce Breton aveugle,)
Dame Hermengilde, rendez-moi la vue. »
La dame s’effraya en oyant ce mot,
craignant que son mari, pour le dire brièvement,
ne voulût la tuer pour son amour de Jésus-Christ,
jusqu’à ce que Constance l’enhardit et la somma d’accomplir
la volonté du Christ, comme fille de son Église.

Le connétable fut confondu à cette vue
et dit : « Que signifie toute cette affaire ? »
570Constance répondit : « Seigneur, c’est la puissance du Christ
qui retire les hommes du piège de l’Ennemi »,
et si bien elle exposa notre foi
qu’elle convertit, avant la venue du soir,
le connétable et l’amena à croire au Christ.

Ce connétable n’était nullement seigneur de l’endroit
dont je parle et où il trouva Constance,
mais il le gardait fortement, depuis maint hiver,
sous Alla[1], roi de tout le Northumberland,
qui était fort sage et vaillant de son bras
580contre les Écossais, ainsi qu’on peut bien l’apprendre.
Mais je veux revenir à mon sujet.

Satan, qui toujours veille pour nous tromper,
vit toute la perfection de Constance,
et s'ingénia aussitôt à la payer de sa peine.
Il fit qu’un jeune chevalier demeurant dans cette ville[2]
l’aima si ardemment, d’une passion impure,
qu’il lui sembla vraiment devoir périr
s'il ne pouvait une fois faire d’elle ce qu’il voudrait.

Il la courtisa, mais cela ne servit de rien ;
590elle ne voulut pas commettre péché, en aucune façon,

  1. Alla ou Aella fut roi de Northumberland de l’an 560 à 561.
  2. Machination pareille à celle du chevalier contre Constance est contée dans les Gesta Romanorum, chapitre CI.