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« Autel clair et béni, sainte croix
rougie du sang de l’Agneau plein de pitié
qui lava le monde de l’antique souillure,
du malin et de ses griffes, garde-moi
au jour où je serai noyée dans l’abîme.

Arbre victorieux, protection des fidèles,
qui seul fus digne de porter
le roi du ciel avec ses blessures toutes fraîches,
le blanc Agneau frappé de la lance,
460 toi qui chasses les démons de l’homme et de la femme
sur qui s’étendent fidèlement tes bras,
préserve-moi et me donne pouvoir d’amender ma vie. »

Des années et des jours vogua cette pauvre créature
par toute la mer de Grèce jusqu’au détroit
du Maroc, à l’aventure.
Que de tristes repas il lui fallut faire,
que de fois elle dut attendre la mort
avant que les vagues capricieuses voulussent la pousser
à l’endroit où elle doit parvenir !

470 On pourrait[1] demander pourquoi elle ne fut pas tuée ?
De même au festin qui put sauver sa personne ?
Moi à mon tour je réponds à cette question :
Qui sauva Daniel dans la caverne horrible
où tous, sauf lui, maîtres comme valets,
furent dévorés du lion avant qu’ils pussent échapper ?
Nul autre que Dieu qu’il portait dans son cœur.

Il plut à Dieu de montrer un miracle merveilleux
en elle, pour nous faire voir ses œuvres puissantes.
Le Christ, qui est le souverain remède de tout mal,
480 souvent par certains moyens, comme le savent les clercs[2],
fait une chose en vue de certaine fin fort obscure
pour l’entendement humain, qui par suite de notre ignorance
ne sait pas reconnaître sa providence prudente.

    trouve le même sentiment dans plus d’une hymne latine, e. g. Crux fidelis de V. Fortunatus.

  1. Les cinq stances qui suivent (vers 470-504) sont originales.
  2. Par les clercs entendez Boèce, à qui Chaucer emprunte la donnée de ce passage.