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que l’empereur, en sa grande noblesse,
a préparé pour sa fille, dame Constance.
250 L’on peut bien savoir que si grand arroi
nul ne saurait le raconter en une petite phrase
tel qu’il fut préparé pour si haute cause.

On désigne des évêques, pour aller avec elle,
des seigneurs, de grandes dames, des chevaliers renommés,
et d’autres gens en grand nombre (pour faire court).
Et l’on fit signifier dans la ville
qu’un chacun avec grande dévotion
priât le Christ de prendre ce mariage
en gré et favorisât ce voyage.

260 Le jour de son départ est arrivé ;
je dis que le triste jour fatal est arrivé
où il ne peut plus y avoir de délai,
et où ils se disposent à faire route, tous et un chacun.
Constance tout abattue par le chagrin
se leva bien pâle et se disposa à partir,
car elle voyait bien qu’il n’était autre fin.

Hélas ! qu’est-il étonnant qu’elle ait pleuré,
elle que l’on envoie vers une nation étrangère,
loin des amis qui l’ont si tendrement gardée
270 et pour être obligée d’obéir
à un homme dont elle ne sait pas la disposition.
Les maris sont tous bons et l’ont été dès les temps anciens,
ce que savent leurs femmes, je n’ose vous en dire davantage.

« Père[1], (dit-elle,) ta malheureuse enfant Constance
ta petite fille si doucement élevée,
et vous, ma mère, ma souveraine joie
sur toute chose, hormis le Christ là-haut,
Constance, votre enfant, se recommande bien des fois
à votre grâce, car je dois aller en Syrie
280 et jamais plus ne dois vous voir de mes yeux.

Hélas ! chez la nation barbare
il me faut aller sur-le-champ, puisque vous le voulez ainsi,
mais que le Christ, qui mourut pour notre rédemption,

  1. Ces deux stances (vers 273-287) ont été ajoutées par Chaucer à l’original.